Pour que mes fils n’aient pas à se rappeler qu’ils sont « noirs ».
Juin 09, 2020 Couple Mixte 13

Je ne sais si mes mots apporteront un éclairage nouveau au problème, je ne sais dans quelle mesure mes lignes seront pertinentes ou pas, je ne sais si cet article fera même évoluer d’un pouce la situation. Mais ce soir je ne peux pas ne pas parler.
Black lives matter. Les vies noires comptent.
Nous sommes encore obligés de le dire et l’écrire en 2020.
Je me sens triste, énervée et impuissante à cette idée, et sans doute cet article aura au moins la vertu d’apaiser un peu mon cœur.
Le tant attendu « monde d’après » que nous avons espéré pendant nos semaines confinées débute sur la médiatisation des violences racistes. Je ne suis pas politisée, je ne suis pas universitaire ou spécialiste de la question, mais en France, les influenceurs sont particulièrement silencieux quant au sujet Black Lives Matter. Aussi minime mon influence soit-elle, je ne compte pas me taire…

Comment sensibiliser les personnes éloignées du racisme ordinaire à cette réalité ? Comment expliquer qu’être noir ou arabe en France aujourd’hui n’est pas la même chose qu’être blanc ?
Virginie Despentes m’a donné dans cette lettre la meilleure comparaison possible pour qu’au moins la moitié féminine de l’humanité blanche puisse comprendre le problème. Quand on est une femme et qu’on marche seule le soir dans n’importe quelle rue de n’importe quelle ville, on ne peut pas oublier que l’on est une femme. On regarde autour de soi, on choisit le trottoir sur lequel on marche, on cadence son pas en fonction des hommes que l’on croise. Que ce soit conscient ou inconscient, ce sont des choses que l’on fait. Je me souviens de ma première sortie « en ville » entre copines, avec H, ma meilleure amie. Je n’avais pas 12 ans et je portais un short, comme je le faisais tous les étés de mon enfance. Je n’avais pas encore les concepts pour le penser, mais j’ai senti que je n’étais pas en paix dans ces rues toulousaines, les regards des hommes étaient clairs : la rue ne m’appartenait pas comme elle leur appartenait à eux. Et je continue à ressentir cela aujourd’hui encore, 25 années plus tard. Peut-être suis-je plus sensible que d’autres femmes à cela, pour avoir été victime d’une agression dans ma vie de jeune femme, comme je l’ai sous-entendu ici pour la première fois ? Peut-être pas.
Dans notre société occidentale mondialisée du 21ème siècle, on ne peut pas oublier que l’on est une femme, et le mouvement #MeToo est heureusement venu délier des bouches trop longtemps cousues à ce propos. Tout n’est pas parfait depuis, mais les choses ont commencé à changer.
Ce mouvement faisait d’ailleurs la une de nombreux journaux juste avant la crise sanitaire. Et l’on peut finalement peut-être trouver encourageant de voir que ladite crise à peine un peu calmée, c’est un autre mouvement pour plus de droits qui fait à nouveau la une de nos médias.
Revenons donc à notre sujet : je sais en tant que femme que je ne peux oublier que j’en suis une. Mais je peux oublier que je suis blanche, et je l’oublie d’ailleurs la plupart du temps. Je ne suis pas certaine de vouloir appeler cela un privilège, mais ce dont je suis sûre c’est que c’est un simple droit dont tout humain devrait bénéficier.
Un Noir ou un Arabe, en France aujourd’hui, dans bien des situations, ne peut pas oublier qu’il est noir ou arabe, il ne bénéficie pas lui non plus de ce simple droit. Dans la rue souvent, dans un entretien d’embauche toujours, dans ses relations de couple parfois, il n’a pas le choix d’oublier sa couleur, comme une femme ne peut oublier son sexe dans ces mêmes situations…
Il faut que les choses changent. Lisons, interrogeons, manifestons, votons. Faisons bouger les lignes !

Mais pourquoi suis-je en train de vous parler de cela ?
Peut-être pour partager un peu plus largement cette simple idée du « droit à l’oubli de son sexe ou de sa couleur » qui ne m’était jamais apparue aussi clairement que la semaine dernière, trouvée donc dans la lettre de Virginie Despentes, et qui a été brillamment poursuivie (dépassée?) par l’écrivaine Tania de Montaigne, en expliquant notamment à propos des mots de Virginie Despentes : « Elle bénéficie de droits humains non pas parce qu’elle est blanche mais parce que c’est un être humain. Ce qui fait qu’il doit y avoir égalité, c’est l’humanité. »
Sans doute car je m’inquiète pour la société dans laquelle grandiront mes fils. Mes fils franco-maliens et dont le teint est surprenamment proche du mien. Mais comme me disait un ami afro-américain « il suffit d’une seule goutte de sang noir pour être vu comme noir ». Je souhaite changer les choses pour que mes fils n’aient pas à se rappeler qu’ils sont « noirs » quand ils marcheront dans la rue, quand ils iront à un entretien d’embauche, ou dans leurs relations de couple. Pour ne pas avoir à m’inquiéter quand ils croiseront la police ici, aux Etats-Unis peut-être, ou ailleurs.

Mais pour être tout à fait sincère, si je rédige ces lignes ce soir, c’est parce qu’une goutte de racisme est venue faire déborder mon vase.
Une voisine blanche a refusé l’accès au vaste ascenseur de notre immeuble à mon Malien de mari en lui disant « Pouvez-vous prendre le prochain ? » et en lui fermant l’ascenseur au nez. Mon mari l’avait déjà vu éviter de prendre l’ascenseur en sa compagnie à plusieurs reprises, pour des prétextes toujours douteux. Mais cette fois-ci elle n’a même pas cherché un prétexte, car mon mari était seul face à elle dans cette situation pour la première fois, sans âme qui vive à l’horizon. Cet après-midi de juin 2020, en plein Paris. Un acte de racisme ordinaire. Un acte de racisme parmi ceux que mon mari partagent avec moi bien trop régulièrement.
Devrais-je écrire « Je rêve que mes enfants vivront un jour dans une nation où ils pourront monter dans un ascenseur sans se demander s’ils se feront fermer la porte au nez. I have a dream » ? Les bras m’en tombent. La colère est montée et ce modeste article n’est qu’un témoignage de plus dans cet océan de racisme latent dans lequel nous vivons…

Si je m’essaie à rester positive, je retiendrai l’idée partagée avec une très chère amie africaine vivant à Shanghai, avec qui nous discutions du racisme en général et de ses expressions variées dont elle a été victime des différents côtés du globe. Si nous espérons qu’il y ait effectivement un « monde d’après », peut-être faut-il qu’explose vraiment cette question raciale pour créer ensuite, une fois pour toutes, ce monde d’après dénué de tout racisme et de toute haine de l’altérité, quelle qu’elle soit.
Espérons que ce monde d’après-là voit réellement le jour.

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13 comments on “Pour que mes fils n’aient pas à se rappeler qu’ils sont « noirs ».

  1. J’imagine comme cet article vous a procuré une forme de soulagement … toujours bien écrit avec cette vive émotion que je partage quand cette personne a refusé de monter dans le même ascenseur que votre mari… C’est d’une tristesse infinie et l’on mesure son niveau d’ineptie !.. Je pense que le chemin est encore parcouru d’embûches pour un monde différent… toutefois, je conserve l’espoir que l’intelligence du coeur fera partie d’une forme de conscience personnelle pour ouvrir son esprit à la connaissance de l’autre, sans aucune approche religieuse !… En toute sympathie !!! Marie-Thérèse

    1. Merci Marie-Thérèse pour vos mots ici !
      Oui, je ressens du soulagement après avoir écrit cet article : soulagement de ne pas être impuissante, c’est certain, car c’est cela le plus dur, se sentir impuissant face à ces comportements…

  2. Le silence actuel de nombreux influenceurs me frappe aussi et je me retire de certains comptes doucement (mais en faisant attention après tout je n’en parle que sur FB et Instagram). Mais là n’est pas le sujet.
    Ton message est l’occasion de te demander si tu connais un bon livre que je pourrais offrir à mon petit cousin noir, qui n’aime pas sa couleur. Bizarrement je n’en connais que pour les filles, insistant sur les cheveux…

    1. Merci pour ton message ici !
      Alors pour la recommandation, ça dépend de l’âge du cousin. Pour les tout-petits il y a toute la série « Crocolou », avec un héros mi crocodile, mi loup ! Pour les plus grands je ne sais pas encore, mais je peux chercher, ça m’intéresse dans tous les cas !

      1. Il a 7 ans. Environ.
        Je trouve ça triste comme pensée et comme il échange des lettres avec ma fille, je le dis que je pourrais y glisser quelque chose. Je vis dans un endroit où les libraires ne peuvent rien pour moi…

        1. C’est super triste en effet…
          Alors je n’ai pas de titre en tête là, mais j’ai trouvé ces 3 liens (le 1er, c’est le conseil d’une amie, les 2 autres trouvés en cherchant sur le net) – tu y trouveras sans doute ton bonheur : http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD-JEUNESSE/Albums-documentaires/Enfants-d-ici-parents-d-ailleurs + https://maevadanse.com/2017/02/22/des-livres-jeunesse-aux-heros-metis-ou-noirs/ + https://www.kitoko-doll.com/nos-conseils-lecture/
          Bonne lecture à lui !

  3. Le comportement de cette dame est affligeant de bêtise mais elle n’a fait malheureusement qu’exprimer tout haut ce qu’hélas une partie significative de la population pense encore. L’ouverture aux autres en France n’est souvent que cosmétique. Un vernis d’égalité fraternité et d’ouverture aux autres sur la volonté consciente ou inconsciente de maintenir la discrimination par tous les moyens possibles. Le récent comportement de la justice française vis-à-vis de Rokia Traoré en est une autre illustration. La glorification des  » Lumières  » comme pères fondateurs de la révolution française a quelque chose de hautement suspect à cet égard. Comment peut on continuer à baptiser des écoles du nom de Jules Ferry alors que celui-ci écrivait que nous avons le devoir d’éduquer les races inférieures ou vénérer Voltaire comme apôtre de la tolérance alors qu’il a fait sa fortune sur la traite des noirs et écrit les pires horreurs racistes ? Et il y en a tant d’autres. Il y a un très gros travail à faire sur les mentalités mais celui ci ne commencera vraiment que lorsque l’on reconnaitra pleinement les erreurs du passé et non sélectivement pour ne prendre que ce qui nous arrange et véhicule une belle image civilisatrice de nous mêmes. Certes, comme le dit Emmanuel Macron, le racisme est une trahison des valeurs de la République mais encore faudrait il commencer à reconnaître que ladite République ne s’est pas construite que sur des belles idées et qu’il est grand temps de faire le ménage.

    1. Merci à vous pour ce long commentaire, ampli de références et d’explications que je partage.
      La route vers une société dont le racisme serait absent est longue, mais j’espère que nous y parviendrons et que mes fils la connaîtront …
      Merci encore pour ces partages !

  4. Ma jolie et douce partenaire… Que cet article est bien écrit, subtil mais clair et net à la fois. J’espère que tes lecteurs comprennent bien que, lorsque tu écris « j’espère que mes fils pourront un jour oublier qu’ils sont noirs » (ou à peu près, tu m’excuses, je ne remonte pas le post), il s’agit d’oublier toute les corrélations négatives que la société peut encore, en 2020, y mettre insidieusement ou non (comme votre charmante voisine !)… Il serait en effet de bon ton que le fait d’être Noir ou Arabe ou Femme, ne soit un jour (viiite) qu’un fait ordinaire, qui ne génère aucune différence de traitement dévalorisant, je dirais même désHumanisant… Si seulement… Le parallèle que tu fais là entre « être femme » et « être noir » permet réellement une comparaison transparente, pertinente et évidente, au moins pour chaque femme et je l’espère, pour bon nombre d’hommes… Et ceux qui n’y parviennent toujours pas… Qu’ils passent leur chemin. Le combat n’est pas au bout… M. Luther-King et autres seraient effarés de voir qu’on a si peu avancé… Merci pour ces lignes. Je t’embrasse fort (avec distanciation tout ça…).
    #BLM

    1. Merci ma chère Alex pour tes mots ici…
      C’est sûr sûr sûr : j’estime mes lecteurs assez intelligents pour comprendre quand je dis « Pour que mes fils n’aient pas à se rappeler qu’ils sont « noirs ». » que je ne fais allusion qu’aux corrélations négatives que cela implique. Car pour le reste, j’essaie encore et toujours d’ apprendre à mes fils leur double culture et de leur apprendre à quel point ils peuvent être fiers d’être ET français ET maliens …
      Merci encore pour tes mots si gentils et fort encourageants à mes oreilles !

      1. Ah ma douce,
        Tu m’ôtes les mots du clavier… Hier j’avais rédigé une phrase tellement ressemblante (je regrette un peu de l’avoir ôtée maintenant !) à propos du fait que je savais que tous deux travailliez chaque jour à leur transmettre tout ce qu’il y a de beau dans leur magnifique double culture… que vous savez apprécier à sa juste valeur/grandeur… <3 Continue d'écrire, tu le fais bien. 😉 Tu auras peut-être vu, j'ai mis en lien ton article sur le mur d'une amie, qui a beaucoup apprécié.
        Bien à toi,
        Alx

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