En juillet dernier, je suis partie pendant près d’un mois voyager au Sénégal.
Voici les pages du carnet de bord de mes deux premières semaines sur le sol sénégalais.
La première partie du voyage est dédiée à un stage de musique et de danse mandingues, organisé par Mamadou Traoré et enseigné par ce même Mamadou, ainsi que son compère de toujours, le danseur Alseye Ndao, et des artistes locaux. Mamadou accompagne des cours dans lesquels je danse depuis plus de dix ans, j’ai une grande confiance en lui.
C’est la première fois que je reviens au Sénégal depuis 2001 – j’avais alors eu l’occasion d’arpenter pour la toute première fois le sol africain lors d’un projet dit humanitaire. Je n’étais pas revenue en Afrique de l’Ouest depuis 2022, où j’étais partie à Bamako en famille.
Je pars dans des conditions très particulières, car au coeur d’une épreuve de vie immense, que je traverse depuis 18 mois déjà…
7 juillet
Première impression sur Dakar. Chaude, humide. Et l’odeur des rues, en arrivant dans le quartier de Dalifort. Odeur unique, qui me replonge, ailleurs, en Afrique mais pas forcément au Mali. Le sable au sol, les bruits de la rue, l’attitude et l’allure des gens : oui, c’est bien proche du Mali, mais ce n’est pas le Mali. Surprenant. La même chose et pas la même chose. Inconnu, mais familier.
Dans les rues de Dalifort
8 juillet
Me voici sur l’île de N’gor, face à la mer. La maison qui nous accueille donne directement sur la plage principale de l’île, nous serons quatorze stagiaires et cinq accompagnants, musiciens et danseur, au total. Incroyable cadre pour le stage de musique et danse à venir. Le bruit des vagues, ce roulis sans fin que j’aime tant. Juste derrière Dakar. C’est fou de voir une capitale d’Afrique de l’Ouest tout près de la mer. Là, je ne sens plus du tout à Bamako.
Cadre parfait. Programme parfait à venir (en un mot, danse !). Compagnie de tant de gens chouettes. Carpe Diem. Perfection du moment dans son entièreté.
Juste devant le cours de danse
9 juillet
Première journée 100% danse et musique, pur bonheur. Première fois de toute ma vie que je m’essaie à la musique, hors flûte à bec à l’école, moi qui danse depuis des décennies. Je m’essaie au sangban. Ce dernier est un doun-doun, un instrument d’Afrique de l’Ouest constitué d’un fût cylindrique en bois sur lequel sont tendues deux peaux de vache ou de veau, une à chaque extrémité et d’un système de tension.
Très agréable sentiment, je me sens une part du tout, tout en étant unique à la fois. Je dois tenir ma ligne, pourtant simple, avec effort, en chantant souvent, et parfois je parviens à ressentir le groove global en même temps. Je ressens un réel état de flow à plusieurs reprises. Je n’avais aucune attente et je profite réellement de l’instant. La danse est très chouette aussi.
Joie en jouant du sanbang…
10 juillet
Au petit matin, je dédie un taï-chi à mon âme. Joie de le pratiquer sur la plage encore vierge de tout occupant. Puis je pars pour une petite balade sur l’île, elle est minuscule et j’en fais rapidement le tour. Surprise de voir tant de rapaces.
Le reste de la journée, je profite de la qualité inouïe de ce stage. Musique extraordinaire. Accompagnants extraordinaires. Kiff tellement inattendu en jouant du doun. Kiff en dansant aussi. Kiff à rencontrer les stagiaires et musiciens qui nous accueillent. Kiff à simplement être ici et maintenant.
Mamadou
11 juillet
Graver quelques moments si précieux avec mes mots.
Hier soir, avant le dîner, écouter la répétition du groupe de nos hôtes, Tio Percussions, avec un si beau décor. Les cinq musiciens sont installés en rond, au pied du grand palmier de la cour. L’air est doux, la mer continue son bruissement ininterrompu. Le premier quartier de la nouvelle lune veille derrière les hautes palmes. Et les peaux vibrent sous les mains et les baguettes des musiciens. Je me sens bien, comme rarement depuis longtemps. Pureté, perfection de l’instant présent.
Ce matin à la reprise de la danse, mon corps est las et fatigué. Je sens une profonde détente en même temps. Je bâille tant et tant. Je sais que je ne peux plus que lâcher après trois journées pleines d’un tel rythme. Quatre heures de danse et autant de musique. Moi qui pensais prendre cette dernière, à la cool, me voilà à fond. En ce quatrième matin, je sens ce délassement profond qui vient, comme quand tout lâche après beaucoup d’efforts. Et c’est évidemment les 18 mois de ma si dure épreuve qui pèsent aussi derrière moi. Je lâche tout et apprécie plus encore l’instant présent. Dans l’échauffement, des mouvements dans le ciel m’emmènent un instant très loin. Je suis bien présente à mon corps et à la musique et, en même temps, je suis ces rapaces qui sont ici si nombreux. Je plane et tournoie avec eux sur le bleu pur du ciel et entre les palmes. C’est ce tout autre ballet qui m’absorbe et me rend intensément plus présente encore. Je suis là. Je suis ici et maintenant. Je suis gratitude. Je remercie tant et tant.
L’immense surprise du kif de la musique. Moi qui n’ai donc jamais appris ou suivi de cours, qui me suis toujours cru casserole ou dépourvue de qualité musicale quelconque, voilà que je prends du plaisir à outrance. Le plaisir le plus grand : faire partie du tout. Tenir sa ligne et, en même temps, faire partie d’un tout harmonieux. Présence individuelle spécifique et partie d’un tout plus grand, plus puissant, plus harmonieux, plus réussi que si l’on était seul.
Une vraie leçon de vie…
12 juillet
Mon âme, que je m’ouvre à recevoir, que je m’ouvre t’incarner à chaque instant plus encore. Un peu comme quand je pratique la musique : aucune attente, réceptivité absolue et laisser être.
Repenser aux épreuves de vie traversées ces derniers mois et décider : abandonner ses vieilles peaux. Peau idéalisme, peau contrôle, et peau espoir. Les regarder. Pleurer. Je suis tellement accrochée à vous. Pleurer mes peurs, mes insécurités, mes tristesses, mes chagrins. Pleurer, car je ne sais ce qu’il va advenir. Inconnu.
Âme je t’entends. Je te laisse les commandes. Je te vois, je te perçois, je t’entends à chaque instant de plus en plus.
Rester centrée. Être le personnage principal de sa vie. Ne plus se rendre dépendant d’un autre pour être heureux. Ne plus confier son bonheur à autrui. Accepter ses faux pas, se pardonner et voir en toute chose la possibilité de grandir. Soit c’est la joie, soit j’apprends.
Plus tard…
Revenir en mon centre encore et encore. Revenir en mon centre en corps et encore.
Ma danse est différente ce matin. Je sens mon cœur, c’est flagrant, sur certains mouvements. Sur d’autres mouvements, je dédie ma joie aux arbres, au ciel, aux oiseaux. Je me sens tellement présente et connectée au tout. C’est bon. Je m’honore. Danser m’honore.
Quel chemin. Laisser mes vieilles peaux et revenir au centre encore et encore. Il y aura tant d’autres moments où je trébucherai peut-être sans doute. Mais ce sont et seront des apprentissages. Douceur et patience. Douceur et patience pour faire différemment, sans ces vieilles peaux.
13 juillet
Graver ces souvenirs…
Le bruit incessant des vagues ; des rapaces qui tournoient, c’est souvent au-dessus de notre tête, joie de danser, en pensant à eux ; le grand palmier de la cour, témoin de toutes nos répétitions, cours et enjaillements ; les soirées à écouter, à l’ombre de ses palmes, et sous la lune, les incroyables répétitions de Tio Percussions ; le son si beau, d’après le dîner, la mer, à mon oreille droite, le joyeux brouhaha dans ma gauche ; le corps qui se dépasse dans la danse ; la joie, la joie, toujours la joie, en dansant ; la joie nouvelle de ne danser que pour son âme et les cieux ; le dépassement permanent, en jouant du sangban, toute première initiation musicale ; la joie, la joie, la joie, et encore la joie.
Les journées filent… et se ressemblent par certains aspects et très peu par d’autres.
Le rythme si dense. Le tai-chi sur la plage déserte avant que quiconque ne se réveille, tous les matins. Huit heures d’activité intense, musique, danse, par jour et encore de la musique ce soir. Les repas en groupe. Nous sommes une vingtaine à chaque fois. Le monde sur la plage en journée, le monde dans la mer en journée. Le bain de mer avant le déjeuner, un autre bain après la danse du soir. La pause avant la reprise de 16 heures, souvent une petite heure pour me détendre allongée. La pause avant dîner, idem une petite heure, souvent à écouter les répétitions du groupe. Le bruit éternel des vagues. La chaleur, la nuit. Le fort appétit aux repas. Le corps qui se muscle un peu plus chaque jour, les bras surtout. L’incroyable qualité de la musique et de la danse enseignée. J’aurais dû commencer par là à vrai dire. Joie, joie et gratitude pour cela. La présence des oiseaux, qui rend les cieux si sauvages, rapaces en force.
14 juillet
Au village de N’Gor, visite avec mon guide d’un jour, Moussa, qui s’avérera peu aimable. J’apprends des bribes de choses sur la culture lébou, je suis fort curieuse des baobabs sacrés. Je les vois, ici on protège les baobabs derrière des murs en parpaing. L’un d’eux reste accessible et je pose mes mains sur lui, l’autre le plus ancien et le plus sacré, je le sens à distance et me connecte à son énergie. Qu’il m’aide à rester dans l’unité, qu’il m’aide à m’ouvrir à recevoir.
15 juillet
Jama Rek. La paix seulement. Une salutation qu’on entend si souvent ici…
Je sens une nouvelle paix en moi, ou un début de sentiment nouveau de paix.
Hier une journée de repos qui me fait tant de bien. Je me laisse aller à mes envies du moment, balade, lecture, sieste, musique avec Malik, où je m’essaie à la cloche, encore de lecture. Puis village de N’Gor. Vraiment, c’est doux.
Sérénité du tai-chi ce matin. Celui dédié à la Terre-Mère coule si bien. Je sens une paix nouvelle en moi. Paix, sérénité, paix, sérénité, je pourrais noircir ce cahier avec ceci. Peut-être est-ce tout simplement cela l’incarnation plus grande de mon âme ?
Les curieux observant les cours de danse
16 juillet
Au milieu de la mangrove du Siné Saloum.
Moment de grâce. Faire la planche dans les 60 ou 80 cm d’eau au cœur de la mangrove. Palétuviers verdoyants, eau si claire, ciel pur, oiseaux qui chantent, petits poissons en nombre, notre pirogue colorée file et fend l’eau en douceur.
On atteint un ponton tout en bois flottant au milieu de l’eau. Juste nous. La nature et nous. Le groupe est joyeux, un peu trop bruyant pour moi, mais c’est tellement chouette de partager ce moment. Grâce et gratitude en faisant la planche. Grâce à se laisser filer. Gratitude pour tout ce qui m’a amenée ici dans ma vie. Gratitude pour tout ce qui est. Gratitude.
18 juillet
Superbe journée avant-hier dans la mangrove du Siné Saloum.
Le décor superbe, le temps assez long sur place à simplement profiter de la douceur de l’eau, de l’abondance de la générosité de la nature, des couleurs merveilleuses. Je m’isole à plusieurs reprises pour faire de longues planches. Bonheur de me laisser dériver longtemps longtemps. Je chante aussi le mantra « Om Ma Wa » pour la Terre-Mère.
L’étape d’après dans le village sérère de Marloj me surprend. Notre guide nous parle de l’arbre d’initiation des arbres sacrés du village. Il raconte exactement ce que j’ai lu dans le livre « Les lieux qui habitent mon rêve » de Felwine Sarr que j’ai refermé trois jours plus tôt. Le Ndut, cet espace sacré spirituel où a lieu l’initiation des jeunes hommes. Le Kumax, celui qui garde le bois sacré. Ils y croient, plus juste, ils le vivent. Bonheur de voir ce lien entre cette lecture et la vraie vie. Je pose mes mains sur les trois arbres sacrés emmêlés du village.
Dieu (ou mon âme) seul sait ce que je télécharge ici, mais mes mains chauffent tant. Ma main gauche surtout.
Dans la mangrove
Le temps du stage défile, défile. Plus qu’une seule nuit ici. Encore quatre jours de stage tous ensemble. Joie renouvelée de jouer de la musique, joie si grande, si inattendue. Joie, de toujours, de danser. Encore et encore et en corps.
Impatience. Je vais aller t’enterrer aux côtés d’idéalisme, de contrôle et d’espoir. Impatience qui m’a tant et tant caractérisée. Qui est constitutive de ma personne même. Une nouvelle vieille peau à oublier, dont me défaire.
Gauthier, un des serveurs de la maison qui nous accueille, me disait que les énergies de l’île de N’Gor sont particulièrement fortes. « Car les roches sont nées de volcans ». « Et que certaines personnes pas centrées deviennent folles ici ». Peut-être l’une des raisons pour lesquelles ma main gauche chauffe tant. Ça et la danse et musique, évidemment.
Impatience, je me sépare de toi. Je me défais de cette vieille peau.
Impatience, je te remercie pour tout ce que tu as permis dans ma vie et nos routes se séparent ici. J’accueille douceur et réception de l’instant présent à la place. Douceur et disponibilité à l’instant présent.
19 juillet
Dernières heures sur l’île de N’Gor.
Je me suis si bien habituée au rythme ici. Rythme intense ici, mais qui a fait défiler les journées vitesse grand V. Des apprentissages d’une telle qualité. La musique surtout, topissime. La danse très chouette aussi. L’ambiance de nos hôtes, Mamadou, Alseye, des musiciens extraordinaires, une capacité de travail des plus intenses, tout en restant détendus et agréables. Gratitude envers eux. La sympathie des stagiaires, aussi.
Le bruit incessant des vagues. Danser avec vue sur mer. Quel cadre de fous ! La joie d’aller faire plouf pour rafraîchir son corps après la danse quand il semble être à 50 degrès. Une première pour moi et quelle joie…
Abdou, un des musiciens, et Alseye
20 juillet
Phrase qui me porte ces jours-ci : « Ne vous faites pas tant de soucis pour demain. Demain se souciera de lui-même. »
Folle journée hier. Une répétition de danse le matin. Puis une bonne baignade.
Le break d’avant midi est apprécié, surtout vu la longue longue après-midi qui nous attend. Quitter N’Gor, avec tous nos bagages et instruments à caser sur le bateau, tout charger dans le minibus et filer à Dalifort. Là-bas, s’installer dans la famille de Mamadou. Puis faire le tour du quartier : à la mairie puis dans un centre social pour enfants.
Ensuite, le temps se détend. On croise la scène qui sera la nôtre pour le soir. Impressionnante au milieu du vaste terrain, qui doit habituellement servir le terrain de foot. Filage placement, dîner, enfilage de costume et l’heure est largement arrivée. Nous monterons sur scène après 23 heures. Spectacle de stagiaires, en percussions puis en danse. Et enfin, spectacle de Tio Percussions. J’adore l’atmosphère de la soirée. Très joyeux, ambiance fête de village de quartier, avec beaucoup d’enfants.
Le public est peu loquace pendant le show, c’est surprenant. Juste avant, j’établis ce parallèle qui me fait tellement rire : notre danse doit être aussi incongrue que si un bus de Japonaises venait à Paris nous présenter des danses bretonnes. « Japonaises retraitées » me précise une amie stagiaire. J’en ris tellement. Alors oui je saisis mieux l’incongruité de notre représentation. Le show de Tio Percussions est extraordinaire – en voici un très court extrait (merci Pascale !). Et je profite tellement de cette soirée. Joie, joie, joie.
22 juillet
Samedi c’est journée off. Le groupe part en balade. Pour moi ce sera flemmardage à la maison. J’écris un peu, je lis beaucoup, je regarde les heures filer. Mon corps est fatigué. Un seul mot : repos.
Hier dimanche est le dernier jour de stage. C’est Mamadou qui nous donne ce dernier cours, Alseye a dû s’absenter. Nous dansons dans la cour du centre social pour enfants. Sable au sol, petites paires d’yeux en nombres. J’adore.
Je croise des scouts ici. Souvenirs de 2001. Je lance une bouteille à la mer, et si l’un se souvenait de Jules, chef à Tambacounda ? sait-on jamais…
L’après-midi, c’est percussions et danse au même endroit. Je suis vidée, vidée. La danse semble m’enfoncer dans le sable. Je danse en faisant voler plein de grains en tout sens, je ris tant et tant…
Ce matin, je pars avec deux stagiaires, un couple que j’apprécie tant, pour Dakar centre-ville. Surprise par l’aspect agréable de la ville. Les rues sont plutôt propres, on peut marcher aisément, la circulation n’est pas catastrophique. La chaleur m’assaille seulement.
Le groupe part après le déjeuner, je reste.
Un nouveau chapitre du voyage démarre…
Notre groupe…
Dans les rues de Dalifort
Un nouveau stage est organisé en cet été 2025, contactez Mamadou via facebook pour en savoir plus.
Si vous voulez plus de détails et de chouettes vidéos sur ce stage, Pascale, une chère co-danseuse, a aussi partagé un chouette récit sur son blog…
Une fois n’est pas coutume, la plupart des photos sont de Mélody Riobé (un grand merci à elle !), sauf les trois de la mangrove du Sine Saloum et deux paysages de N’Gor, et le premier dessin est signé Marie-Hélène, autre compagne de danse !
Je dédie cet article à Daouda Traoré, le père de Mamadou…