Des nouvelles de Bamako…
Mar 14, 2022 AfriqueMali 2

J’aurais pu intituler ces lignes « Le sel du Mali », en référence au si beau livre de Françoise Héritier, Le sel de la vie, où elle rassemble toutes ces petites choses qui donnent son sens à la vie.
Voici donc les pages de mon journal de bord bamakois, brutes ou quasi brutes, rédigées à chaud (par 38 degrés le mot est on ne peut plus approprié) sur la terre malienne dont je reviens tout juste, pour ce cinquième voyage…

Le matin à Bamako

Écouter les bruits du petit matin, à nul autre égaux – le frottement des balais dans les cours, le chant des oiseaux dont je ne connais le nom et ceux que je reconnais, tourterelles ou autres coqs. Ces oiseaux qui gazouillent chuintent hululent. Entendre la ville se réveiller et la rumeur gronder peu à peu. Être tirée du sommeil par l’appel du muezzin et penser « c’est certain, je suis ailleurs ». Apprécier chaque goutte de fraîcheur matinale, d’autant plus que jamais elle ne dure. Regarder le soleil commencer sa course bien en face, en remerciant le voile de poussière du désert sur la ville. Pester contre cette même poussière rouge qui se loge dans chaque pore de sa peau, entre les orteils nus surtout, puis finalement se réjouir d’avoir les pieds à l’air en plein mois de février.
Ne pas contenir sa joie du miracle d’avoir réussir à partir au Mali après une pandémie mondiale, six semaines de suspension de trafic aérien, le départ d’un ambassadeur, un plan B de vacances tombé à l’eau, une organisation pour quatre personnes dont deux jeunes enfants réussie en 72 heures, une ultime épreuve administrative surprise à Charles-de-Gaulle où l’un ami nous dégote miraculeusement le nouveau papier manquant qui aurait laissé notre petit de 4 ans sur le carreau aéroportuaire.
S’en réjouir encore et pour longtemps.
Reconnaître instantanément l’odeur âcre et sèche de la terre malienne une fois sortie de l’avion. Se sentir chez soi dans la maison des beaux-parents, y avoir ses repères intacts en ce cinquième voyage en sept ans. Déguster la première gorgée de thé malien et le trouver toujours aussi intense et doux. Retrouver sa belle-mère et se sentir proche d’elle comme si on était de son propre sang. Se lécher les babines rougies par le succulent bissap, le bien nommé « bouche-rouge » dabléni en bambara.
Vibrer aux premiers coups de percussions et goûter chaque seconde du moment : la vue depuis le toit où se déroule le cours, le son si puissant, si juste, si enivrant, la danse qui commence. Mesurer l’impact de la chaleur sur son corps qui se fatigue plus vite. Sourire aux musiciens inconnus trois heures plus tôt et déjà des soutiens de chaque pas. Peiner tant au début de l’apprentissage et apprécier d’autant plus le moment où le pas devient fluide. Répéter, répéter, répéter et répéter encore. Trébucher. Persister et, à un moment inattendu, lâcher pour enfin danser. Souhaiter fondre son corps dans celui de sa professeure, ses pas dans ses pas, sa musicalité dans la sienne.
Ne pas trouver le sommeil et entendre seulement des doum-doums résonner dans son cerveau jusqu’à très tard dans la nuit, craindre d’être épuisée quelques heures plus tard sur le kéné et décider de faire confiance à son corps.

Les spectateurs de nos cours de danse
La boutiquière

***plus tard***

Guetter le moindre filet d’air après une après-midi brûlante. Savoir reconnaître les moindres endroits aérés d’une maison.
Se réjouir de comprendre chaque jour un peu mieux le bambara. Pouvoir parler un peu plus avec les non-francophones et en être heureuse.
Chercher longuement les mots pour décrire les émotions dansées. Chercher encore.
Trouver.
Joie intense. Bonheur ample et dense. Perfection du moment présent. Intensité. Chaleur. Challenge. Lâcher-prise recherché pendant des années et enfin goûté. Vibrer la musique. Se laisser porter par la musique. Être (sup)portée par la musique. Vibrer encore. Chercher des appuis nouveaux. Retrouver des pas perdus. S’envoler sur des ressources inespérées en soi. Se dépasser. Se fatiguer. Souffrir de la chaleur intense. Se réjouir encore et en corps. Danser pour les absentes. Être tenue et soutenue par les musiciens (musicieux ai-je écrit !). Découvrir de nouvelles professeures et s’en faire en quelques pas des amies. Répéter, répéter, répéter encore et encore. Dépasser ses limites. Dépasser la fatigue. Expérimenter pour la danse « Soit je réussis, soit j’apprends ». Expérimenter. Encore, encore, encore…

Au dembafoli

***plus tard encore***

La douceur du matin à nulle autre pareille encore. Des sons inédits que je pourrais encore tant de fois écrire car tant de matins appréciés.
Les rythmes de danse qui trottent dans la tête des nuits entières. Une telle excitation. Des nuits avec si peu de sommeil qu’on s’étonne d’être encore debout le lendemain et, plus encore, de danser.
Trouver des ressources inespérées, inattendues en soi. Rencontrer des passionnés, danseurs et musiciens, qui, en quelques heures de pratique commune à peine, semblent des proches amis. Sont de proches amis. Au-delà de la langue et au-delà des différences. Remercier encore et encore pour le simple fait d’être là. Profonde gratitude pour ce cadeau inespéré et finalement inattendu. Gratitude. Lâcher. Être. Vibrer. Danser. Ressentir. Vibrer. Frémir. Se connecter. Connecter des parts nouvelles en soi. Chauffer et sentir ses pieds souffrir. Se connecter aux danseurs et aux musiciens. N’être que joie. Être, seulement.
Découvrir de nouvelles capacités de magnétisme dans ses mains. Avoir très envie d’aider, d’apaiser, de soulager. Aller vers l’autre. Cœur-guidée toujours, au-delà des codes, des doutes et des aprioris. Essayer, se centrer, oser, réussir souvent à apaiser un peu ou beaucoup. D’autres fois, moins. S’apaiser soi-même à chaque fois et ressentir toujours la chaleur entre ses mains, au-delà des doutes du mental des regards, être centrée présente aimante aimée soutenue. Être bien. Être.
Se réjouir tant et tant de voir ses enfants si épanouis à Bamako, se dire que toute l’énergie investie dans les voyages au Mali depuis des années prend ici tout son sens : mes enfants se sentiront à jamais chez eux à Bamako, quoi que l’avenir leur réserve…

Mes enfants, là-bas chez eux

***le dernier jour***

Une journée de plus à Bamako. 24 heures cadeau offertes par le retard de notre vol. Des surprises jusqu’au bout du voyage. Le patriarcat à supporter aussi : je m’étais projetée à le subir xx heures et chacune de plus me parait difficile. Exercice de patience et d’acceptation absolu. A part ce point précis qui cristallise mon impatience, ma colère devrai-je dire, heureuse d’être là pour quelques heures encore. Il fait doux, ma nuit fut pour la première fois sur ce sol malien réparatrice.
Retour sur cet incroyable dembafoli partagé en famille vendredi. Un cadeau inestimable de la vie. Comme si tout ce que ma chère professeure Manu m’enseigne depuis des années et des semaines spécifiquement s’incarnait ici… Comprendre l’importance de la fête, son sens, ses codes, son pouvoir cathartique. Vivre cette paire d’heures de danse avec les femmes de la famille que je connais et apprécie. Comprendre leurs rires, leurs non-dits, lire leurs attitudes. Participer entièrement à la fête. Comprendre les rythmes (wosolonka-tansolé et bambara), lire les pas. Vibrer avec les corps connus et inconnus. M’accorder entièrement au moment présent. Être. Sans peur, sans préjugé, sans apriori. Comme si tant d’apprentissages reçus convergeaient vers ce kéné. Pour simplement apprécier et me délecter. Voir les visages tour à tour surpris, ravis et simplement joyeux tournés vers moi. Partager cela avec ma belle-mère tant appréciée et sa sœur aînée, la demba marraine « maîtresse de cérémonie », sous le regard heureux de mon mari… Voir mes enfants tellement entraînés par la fête que nous devons les contenir. Se sentir vivante comme jamais. Honorer entièrement l’instant. Et, par surprise immense, être pour une fois le centre des louanges. Prise heureusement par la main par ma belle-sœur pour savoir quoi faire, se sentir à l’aise ou presque sous les regards de toutes. Et danser encore ! Vibrer d’une intensité rarement égalée. Se savoir à son exacte et juste place.
Être touchée par l’imam de la famille. Imam rencontré dès le premier voyage, lui toujours ouvert, souriant, avenant à mon égard. Une telle lumière dans ses yeux, une telle douceur qui émane de lui. Bienveillance, amour, justesse, bonté se dégagent de lui. Et ce voyage-ci, oser aller plus à sa rencontre. Se confier à lui, demander conseils et bénédictions. Trouver en lui une puissante ressource, un maître peut-être. L’écouter m’apprendre les fondements de la Tijaniyya, cette confrérie soufie implantée en Afrique de l’Ouest. Se sentir portée par ce récit. Savoir que ces mots et prières sont justes pour soi, instinctivement, entièrement. Prier avec lui.
Se sentir à nouveau à sa juste place.

Juste avant le dembafoli

*Quelques vidéos sur ce voyage au Mali sont disponibles ici
*Pour en savoir plus sur les danses du Mali, rendez-vous sur cet article « Le cercle, cœur battant des danses du Mali » que j’ai écrit pour TV5 Monde, où j’interviewe ma chère professeure Manu Sissoko.
*Sur Le sel de la vie, voir cette belle vidéo.

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2 comments on “Des nouvelles de Bamako…

  1. Je n’avais pas le temps ce matin… Pas le temps de lire… Déjà trop de mails, de pensées professionnelles, d’enfants qui demandent où se trouve ceci ou cela… Et je l’ai volé quand même ce temps, ces fugaces minutes pour te lire et ensuite pour t’écrire… Peu car le temps me presse. Mais merci. C’était délicieux à lire, comme toujours. Je me suis sentie retourner au Mali, le temps de ces fugaces minutes. Merci.

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