Le vivant (urbain) et moi.
Avr 22, 2020 FranceLe Chemin 2

Je réalise depuis le début du confinement à quel point je suis sensible aux éléments et au vivant qui m’entourent.
Je n’ai plus la chance d’habiter en pleine campagne comme au temps de ma tendre enfance, mais j’ai le luxe ultime d’avoir une terrasse en ville, terrasse donnant sur le toit végétalisé d’un immeuble voisin. En d’autres termes : j’ai au quotidien un accès extérieur et une vue largement dégagée.
Alors que le temps est suspendu et que les plages oisives, seule ou en compagnie de mes enfants, sont plus longues que jamais, je passe en ce printemps énormément de temps assise à ma terrasse à contempler les éléments et le vivant qui m’entourent.

De mémoire de pigeon, le ciel parisien n’a jamais été aussi bleu. Un bleu lavé de toute pollution, d’une teinte presque foncée tirant sur l’indigo, comme je n’en vois habituellement qu’en montagne. Les journées ensoleillées qui n’ont cessé de se succéder, me laissent le loisir de garder longuement le nez en l’air. Cette semaine, quelques nuages sont venus compléter le tableau. C’en est presque plus agréable encore : le blanc immaculé des cumulus vient contraster la beauté azurée… Incroyable de songer que les Parisiens sont la plupart du temps privés de ce magnifique paysage…

Les plantes me fascinent en ce moment. Assise à ma table pour écrire ces lignes, j’observe mes amies chlorophyllées du salon. En un coup d’œil je sais si elles manquent d’eau. Me parlent-elles plus distinctement qu’avant, ou suis-je simplement plus à l’écoute ? ce qui est sûr, c’est que je dispose de plus de temps en leur compagnie. Je comprends à leurs feuilles tournées vers le sol quand elles sont malheureuses. Et je m’ébahis à chaque fois de voir, comment le lendemain de leur arrosage, elles déploient leur verdure dans tout l’espace possible, comme un humain gonflerait sa cage thoracique pour mieux respirer. Je suis fascinée…

Je profite aussi du temps à demeure pour verdir ma terrasse. Et là aussi, la vie du végétal m’interpelle. Comment les fraisiers grandissent chaque matin, gorgés de chaleur qu’ils sont sur cette terrasse exposée plein Sud. Comment un seul escargot peut en une nuit faire des ravages sur le basilic dont « ils raffolent », dixit ma mère et sa légendaire main verte. Comment la ciboulette a pris ses aises en deux jours, à peine fut-elle rempotée – ses racines n’en pouvant plus dans le minuscule pot où elle était vendue. Et ces pensées, qui fleurissent chaque printemps pour la troisième saison. Deviner un minuscule bouton encore tout enveloppé de verdure et voir les pétales bordeaux enroulés sur eux-mêmes s’épanouir un matin. La ténacité de la vie, souvent là où l’on ne l’attend pas me subjugue.  
Et enfin, je guette chaque matin l’évolution de mon jasmin. Ses boutons sont en croissance depuis des semaines, depuis le début du confinement. Je me suis employée à enlever toutes les brindilles mortes qui pouvaient obstruer leur développement. J’arrose la plante avec attention. Les boutons grossissent peu à peu, comme s’il leur fallait plus de temps qu’aux autres végétaux : « nous préparons une odeur que vous ne pourrez égaler, et il nous faut du temps pour cela » semblent-ils nous chuchoter… Entendu, nous attendrons le temps qu’il faudra.
Et je ne peux terminer ce tour imaginaire des végétaux de ma terrasse sans rendre hommage au dernier adopté, et pourtant le plus imposant déjà : un arbre. J’en rêvais depuis le premier jour où j’ai posé un pied dans cet appartement. Le confinement a enfoncé le clou, aidé des si belles phrases de Cabrel « Et si l’on restait sous les arbres, le reste du temps ? » Quel autre programme s’imaginer en ces temps confinés à durée indéterminée ?
Au gré d’une course de « première nécessité », je suis tombée sur lui et ce fut ma seule folie confinée : un olivier, un olivier de belle taille, avec un tronc de vingt centimètres de diamètres, un vrai arbre portant le Sud en son écorce. Je l’ai aimé au premier regard et il a donc élu domicile chez nous -à la première écriture de cet article, j’ai écrit « chez lui », je me sens donc colocataire de mon olivier, voilà qui est écrit !
Je l’ai aimé plus encore quand j’ai lu quelques-unes des symboliques qui lui sont attachées : arbre de la paix, de la sagesse et la longévité, de l’immortalité et l’espérance, de la force et la victoire, de la richesse et l’abondance… Il a trouvé sa place dès les premiers instants. En plein soleil, nous procurant déjà un petit filet d’ombre tout à fait appréciable, et nous rendant les couchers de soleil plus beaux encore, à tout moment j’aime voir ses branches danser dans le vent…
Je sais déjà que le côtoyer m’apprendra plein de choses, comme le dit si bien Christian Bobin dans les premières lignes du superbe texte « Présence pure » :

L’arbre est devant la fenêtre du salon.
Je l’interroge chaque matin « Quoi de neuf aujourd’hui ? »
La réponse vient sans tarder, donnée par des centaines de feuilles « Tout ».

Quelques petites choses encore à propos de mon rapport au vivant ces temps-ci : j’ai développé mon sens de l’observation des oiseaux, chaque jour mon acuité se développe. Pies, pigeons, corbeaux et merles sont nos voisins quotidiens. Merles et pies restent mes préférés, sans doute car ce sont les plus rares à Paris. Ils sont parfois accompagnés de moineaux qui s’aventurent jusqu’au sixième étage de notre terrasse. Quel bonheur de les observer dans leurs occupations, circulant par ce toit pour se rendre des arbres de la cour d’un côté, aux arbres de la rue de l’autre. Et surtout, je ressens une immense gratitude pour les merles chantant à tue-tête à toute heure… c’est après le coucher du soleil que j’en profite le plus, mais il n’est pas rare de l’entendre à d’autres moments du jour ! Ce si petit corps a-t-il vraiment des messages si importants à transmettre, ou est-ce simplement pour le plaisir de partager ses talents qu’il s’époumone ?

Au rayon des êtres bien vivants, les escargots m’ont bien surprise en ces temps confinés. Le premier samedi du confinement fut pluvieux et a fait sortir quelques escargots sous ma jardinière de menthe. Pour sensibiliser mes fils au monde du vivant, j’ai réalisé une escargotière maison. Neuf au départ, nous avons accueilli depuis des nouveaux pensionnaires et les gastéropodes sont désormais une petite quinzaine. Grand effet sur les tout-petits, mais aussi sur… moi-même. Jamais je n’aurais cru pouvoir prendre plaisir à observer ces si petites bêtes, et pourtant je l’admets en ces lignes : observer les escargots m’intéresse au plus haut point ! Leurs déplacements, plus rapides que leur mauvaise réputation ne nous le laisse croire, leur manière de se nourrir, laissant de larges empruntes dans les feuilles de choux ou dans les carottes crues, leurs excréments même (oui oui) se colorant au gré des aliments ingérés. En voici une activité inattendue qui remplit à merveille son rôle de passe-temps…

Et gardons le meilleur pour la fin peut-être ? Dans ce décor si é-mouvant, ce que j’apprécie le plus dans ce vivant urbain et pourtant naturel reste la caresse du soleil sur ma peau… cette chaleur astrale inégalée, qui vient chauffer mon corps et mon cœur. Je ne sais depuis quand remonte cette adoration, ma tendre enfance ou plus jeune encore et le tout premier âge, j’aime me tenir la face en plein soleil et essayer de tenir au maximum le face à face avec lui, avant de souvent m’avouer vaincue : la chaleur s’apprête à se transformer en coup de soleil, il faut s’abriter avant que sous le plaisir ne naisse la douleur. Si par bonheur une petite bise vient compléter le tableau, vous m’en voyez plus ravie encore… -et hop nouveau lapsus écrit – c’est « vous m’en voyagez plus ravie encore » que j’écris au premier jet, car il suffit sans doute d’évoquer soleil et vent pour inviter au voyage…

Quelles que soient nos volontés, la nature ne se laisse pas diriger et évolue comme bon lui semble : si l’homme freine ses activités en ce moment, le vivant est au contraire en plein essor. L’homme pense le posséder mais il finit toujours par avoir le dessus, parfois là où l’on ne l’attendait plus, à l’image des pissenlits, petites fleurs mauves et autres plantes qui en ce moment reprennent possession des rues et poussent entre les pavés, à l’interstice de deux plaques de goudrons ou dans les plus petites fissures des immeubles…
Ce temps confiné suspendu aura permis cela : contempler de la juste manière l’inestimable vivant qui se manifeste bel et bien dans nos vies urbaines, au-delà de nos vies humaines…

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2 comments on “Le vivant (urbain) et moi.

  1. J’ai beaucoup apprécié ton article. Le vivant est partout, même à Paris, il faut simplement ouvrir l’œil… Dommage qu’on l’oublie parfois dans nos vies trépidantes ! Comme toi je puise beaucoup de réconfort dans la nature en ces temps perturbés. J’habite en appartement mais j’ai aussi une terrasse, et je prends beaucoup de plaisir à observer nos lézards de terrasse, le petit moineau qui commence à prendre ses aises sur l’accoudoir d’un de nos fauteuils, les papillons de l’arbre en face de chez nous… Mes frangipaniers, arrosés plus régulièrement, recommencent à fleurir, j’aime tant cette odeur et ces fleurs roses qui éclosent de jour en jour ! Tout cela restera dans mes bons souvenirs du confinement… On renoue en un sens avec l’essentiel, je trouve.
    Aurélie.

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