10 minutes.
Mai 30, 2020 FranceLe Chemin 6

Une idée surgit : écrire 10 minutes chaque jour au même moment, comme l’on prendrait la même photo tous les jours au même instant.
Et si ces 10 minutes prenaient place chaque matin après ma méditation ?
Ce matin, la forme d’un flot de pensées, mais demain peut-être des projets plus poétiques ? des éclats de quotidien, des « copeaux » ?
A suivre !

De ces quelques mots, jetés sur mon ordinateur un matin de confinement, est né un projet d’écriture très personnel : écrire chaque matin ou chaque jour, au moins 10 minutes. Pas vraiment un journal de bord, pas vraiment un travail pensé en vu d’être lue, mais avant tout un espace d’expression et de liberté que je m’offre depuis début avril.
Et je me suis finalement dit ce jour que cela pourrait vous intéresser d’en lire quelques feuillets. Voici donc quelques extraits de mes « 10 minutes ».

La bouffée du matin

J’ai senti ce matin, à l’occasion de mon yoga du réveil, la bouffée de printemps, la bouffée d’air frais matinal.
Je ne sais si mes mots rendront hommage à ce ressenti digne d’une madeleine proustienne, mais tentons.
Ce matin, comme tous les matins depuis ces plus de quatre semaines confinées, au saut du lit, mal réveillée, j’ouvre la fenêtre du salon pour pratiquer mes salutations soleil avec un air frais.
Ce matin, les arbres sont particulièrement verts, le ciel tout blanc. Une lourdeur héritée de la chaleur confinée de la veille pèse dans mon salon.
Et là, sans que je m’y attende, alors que je me relève de ma posture « chien tête en bas », je ressens cette bouffée d’air, qui me propulse immédiatement dans un matin de mon enfance. J’aspire à plein poumon et laisse venir. Je ne sais pas si je suis dans le village natal, ouvrant les fenêtres de la chambre de mon enfance un matin de printemps, ou si je suis un matin d’été de camp scout alors que je sors la tête d’une tente pleine de la nuit de six petites filles et que je suis la première à sortir respirer les arbres autour de la tente.
En une fraction de seconde je suis passée de mon salon, sis au sixième étage d’un carrefour parisien encore fréquenté, à un délicieux matin de mon enfance. J’essaie encore de retenir ce qui ne peut vraiment l’être et continue les postures de yoga. Quelques secondes plus tard, au même moment de l’enchaînement, la similaire bouffée revient. Je comprends alors que c’est la chaleur faiblement moite du salon combinée à l’air frais empli d’odeur des arbres sous mes fenêtres qui provoque cette alchimie.
Je ne suis que ressentis, aspirations, odeurs et souvenirs. Je penche finalement pour ces matins de camps scouts, où nous nous réveillions au beau milieu de la nature, souvent à l’orée d’une forêt.
Et je devine que ces moments-là sont la raison principale de mon amour inconditionnel des matins.

Lettre à mon âme.

Mon âme,
Je t’ai négligée pendant de longues années, depuis toujours peut-être.
Il a fallu que le monde extérieur me soit fermé pour que je me décide enfin d’aller voir à l’intérieur, et d’y passer du temps. Moi la grande voyageuse, qui ai arpenté tant de contrées, me voici plongée dans le plus grand des voyages, la plus grande des aventures : me connaître mieux moi-même.
Mon âme, tu as été patiente, et je ne te trouve pas rancunière. Alors que tu étais tapie au fond de moi, réduite à quasi-néant, tu as répondu présente dès que j’ai essayé de te contacter. Il a fallu passer par un travail préalable qui ne t’était initialement pas destiné : des mois de confrontation dans mon couple d’abord, et finalement avec moi-même. Il a fallu faire taire le mental dans la méditation, il a fallu préparer le corps avec le yoga, pour que la méditation soit plus profonde. Et répéter inlassablement ces exercices que l’on ne nous apprend pas à l’école, jour après jour. Et il a fallu ce confinement, pour qu’enfin je prenne le temps de te regarder en face.
Tu es là, tu peuples l’ensemble de mon intérieur comme un double de la couche supérieure faite de mental et d’émotions. Contrairement à ces derniers tu ne cherches pas à t’imposer ni à prendre le dessus. Mais, comme le calme profond d’un lac, tu es là. Une fois les agitations de la surface passées, tu demeures, imperturbable.
Et quand on sait te laisser de la place, tu es la meilleure conseillère, notre meilleure amie peut-être. C’est par exemple toi qui me souffles de temps en temps quelques-uns des titres d’écrits que je rédige ensuite, ils sont toujours justes et inspirants. Et surtout, c’est toi qui me rassures. Quand j’arrive à me connecter à toi, je me sens dans une plénitude absolue, je suis dans le calme, dans l’infini de mon être, et je trouve en moi un refuge.
Cet espace n’est pas évident à atteindre, une fois de plus il est pollué par le mental et les émotions entretenus malgré moi depuis plus de trente ans. Mais les fois où je t’ai atteint, laissant tomber toutes les illusions de mes pensées, comme de la poussière glisserait d’un tableau laissé trop longtemps dans un grenier, alors tout est simple, tout est évident, tout est lumière.
Mon âme, je te fais aujourd’hui une promesse : je ne te laisserai plus jamais dans le grenier de mon intérieur, je te promets te laisser plus souvent de l’espace, de cultiver ce que tu aimes, le calme et la présence pure.
Merci pour tout, mon âme,
A bientôt

Joël Vernet

« Je n’ai rencontré que peu d’êtres décidés à vivre ou à mourir. Je n’ai vu que des êtres se débattre. »
« Le moi éclaté, l’écrivain s’affirme dans l’universel. »
Ces deux phrases de Joël Vernet me touchent au plus au point.

Haïku, ou presque

Deux jours de nuage. Puis,
Les feuilles effilées se détachent sur le carré d’aurore.
Renaissance.

Ecrire

Qu’est-ce que je cherche avec l’écriture ? Laisser une trace ? Transmettre ? Partager ? Toucher ? Emouvoir ? Mouvoir ? Faire penser ? Faire bouger ? Contribuer ? Aider ? Développer ? Me développer ? M’améliorer ? Donner un sens ? Exprimer ? Faire sortir ? Expurger ? Cracher ? Sortir de soi ? Arracher ? S’arracher ? Donner vie ? Donner naissance ? Donner Sens ? Donner ? Recevoir ? Entendre ? Me tendre vers le précieux, l’unique, l’urgent ? Donner chair ? Graver ? Mettre en matière ? Incarner ?
Urgent nécessaire plus fort que moi absolu nécessaire ultime
Emotion amour envie besoin force expression extérieur intérieur divin au-delà de soi plus fort que soi projet de vie mission de vie qui dépasse tout dépassement transcendance transcrire harmonie unité nudité calme vide
Trouver le vide en soi le creux y déposer le plein
Faire place
Tout laisser pour l’absolu de l’écriture
Se couper de tout pour laisser place à l’écriture
L’écriture comme sens à sa vie
Ecrire pour se dépasser, pour faire sens
Ecrire pour partager transmettre mettre en matière
Ecrire pour toucher
Ecrire pour émouvoir mouvoir le lecteur
Ecrire pour soi
Ecrire pour l’autre, même un seul autre

Haïku, ou presque, encore

Trouver au cœur de soi l’immensité
Refuge instantané
Cultiver en soi l’énergie de paix

Le merle, un soir

Le gai chant du merle m’ancre au présent, par-delà en contrebas la rumeur de l’urbaine soirée.
Fixer son attention sur le chant, de toute sa volonté faire fi de la rumeur.
Isoler la gaieté du marasme.
Préférer la beauté, privilégier le lumineux, cultiver le vivant – toujours.

Végétal, encore

Je me laisse à nouveau surprendre par le végétal lors de mes nombreuses balades urbaines : comment cela se fait-il que les fleurs d’une même espèce s’épanouissent exactement au même moment ?! Au début du confinement les tulipes étaient en fleurs, derrière les grilles des parcs ou sur les terre-pleins des allées. Les lilas débordant des résidences cossues ont suivi, talonnés de près par les glycines. Les tulipes ont fané, glycines et lilas ont tenu, longtemps, rendant mon confinement beaucoup plus agréable. Puis, eux aussi ont séché, des coquelicots se sont épanouis ici et là, et c’est le chèvrefeuille qui embaume partout aujourd’hui dans les ruelles résidentielles autour de chez moi.
C’est fou : une enfance passée à la campagne et je n’avais pas réalisé cette synchronisation parfaite, au jour près des fleurs d’une même espèce dans un environnement proche. Il a fallu que je me retrouve enfermée dans un kilomètre carré urbain pour m’en rendre compte ! Et là, je me souviens de mon enfance : j’étais habituée à voir les champs changer de couleur tous en même temps, au jour près sans doute aussi. Les tournesols d’un jaune vif, puis un jour séché, le rouge ocre du sorgho. Les floraisons aussi étaient simultanées, mais je n’y ai jamais prêté attention.
Aussi, je me demande : cette floraison simultanée selon les espèces se déroule-t-elle seulement sur des territoires restreints ou est-ce le cas sur une région entière par exemple ? Quel sera l’effet du changement climatique sur ces symphonies si parfaitement réglées ?
En voici une vertu inattendue de ce confinement : la contrainte de l’espace si restreint a aiguisé de manière inattendue mon regard sur le vivant.

Le bonheur ?

Avons beaucoup passé un moment très joyeux avec les enfants : je me suis amusée à les arroser avec une bouteille d’eau percée, eux tournant tout autour de moi.
« Arrosage automatique, arrosage automatique ».
Une grande simplicité et un immense bonheur de l’instant pur… Tout autour les plantes inondées de soleil, leurs regards pétillants, leurs courses incessantes, leurs rires francs…
Le bonheur oui !

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6 comments on “10 minutes.

  1. Vos deux derniers textes et poésies m’ont beaucoup touchée.. Oui, il faut du courage et force mentale pour apaiser les aléas de la vie. On devient libre ! Comme lorsque j’écris dans mon atelier d’écriture depuis plus de dix
    années, devant la page blanche je laisse vagabonder mes pensées, sensations, situation du moment etc et ma main courre sur le papier. Quel bonheur! Merci de Continuer à nous faire penser’ sourire ‘ nous émouvoir par vos ecrits

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