J’aurais trouvé l’expression « le royaume des chats » ou « la cité des chats » plus élégante, mais il en a décidé autrement, et ces temps-ci plus que jamais j’ai du mal à refuser quoi que ce soit à l’une de mes têtes blondes – Château des Chats ce sera. Laissez-moi vous conter comment ce lieu à l’énigmatique appellation est entré dans nos vies.
La scène se passe un samedi de confinement – je ne sais pas encore comment la postérité nommera ces très étranges journées du début du printemps 2020, mais je suppose que quiconque parmi la moitié de l’humanité qui aura vécu ces journées enfermé chez soi comprendra très bien ce à quoi il est fait allusion à l’évocation simple du mot « confinement ».
La scène se passe donc un samedi de confinement.
Soyons juste, elle trouve son origine la veille, un vendredi après-midi.
J’ai été très sérieuse ces trois premières semaines confinées : je me suis autorisée très peu de sorties, toujours motivées par un achat de première nécessité et deux fois par semaine motivées par l’aération de la plus jeune génération du foyer. Ladite génération recevant une très large dose de vitamine D quotidienne grâce à notre terrasse, mais se trouvant en manque d’horizons élargis, je me suis permis de la descendre quelques fois dans la rue. Bon très précisément sur le large trottoir de la rue juste en en face de chez nous pour y pratiquer la nouvelle activité sportive imaginée pour l’occasion : la folle course poussette versus vélo, permettant à l’équipe cadet-maman de se mesurer à l’aîné, à coup de grands chants et cris motivant les troupes tant bien que mal. Cet exercice ayant perdu de son élan au bout de la sixième sortie, je me suis rendue à la réalité : il fallait se réinventer.
Et en ce vendredi de ce si particulier mois d’avril, me voilà donc partie faire un repérage en solo, dûment armée de mon autorisation et respectant chacun des gestes barrière. Me voilà arpentant les rues de mon quartier sur un rayon d’un kilomètre plein Est, me menant dans les ruelles des Lilas, où j’espérais trouver les coins et recoins les plus prompts à accueillir les rires de ma marmaille le jour suivant. Me voilà partie rabattre d’un œil neuf un pavé pourtant bien familier.
Je gribouille quelques notes au passage, me doutant que je n’aurais pas d’aussitôt la chance de jouir d’un œil entièrement neuf à l’occasion d’une balade :
Guetter chaque mouvement de vie, chaque tulipe, chaque arbre en fleurs. Apprécier plus que jamais le passage furtif ou langoureux d’un chat, apprécier n’importe quelle âme qui vive, le moindre insecte me rôdant autour faisant l’affaire. Longer tous les espaces verts possible et s’y gorger de chants d’oiseaux. Sourire en pensant que les pelouses auront cette année tout le loisir d’être au repos.
Croiser plus de sirènes d’ambulances que l’on aurait aimé.
S’éloigner des rues trop commerçantes et des gens stressés les arpentant l’œil mauvais, guettant leurs congénères ne respectant point la distanciation sociale.
Oublier cette lourdeur et obliquer à nouveau vers les ruelles en fleurs. Se demander si, derrière les rideaux tirés, les appartements sont délaissés par des urbains partis au vert, ou si au contraire ils abritent des quotidiens confinés. Croiser un tigré trônant en haut d’une colonne et ressentir de la gratitude pour cette féline présence.
Se dire « oui c’est bien par ici que je dois venir aérer mes petits » et espérer y croiser encore âme animale qui vive demain…
Samedi alors qu’il est encore tôt, je mène donc notre petite troupe loin des artères commerciales et vers les ruelles fleuries des Lilas. Je me souviens de cette ruelle bordée de petits pavillons bourgeonnant, une ruelle nommée « villa C. », presqu’un domaine privé. Nous y garons poussette et vélo, et arpentons les quelques dizaines de mètres. Ciel bleu, gravillons, arbres en fleurs, bouts de jardins, point de voiture ou de silhouette humaine à l’horizon, le terrain de jeu est idéal. On dégaine notre ballon.
Un premier félin pointe le bout de ses moustaches. Pelage de jais et yeux verts perçant, il se soucie à peine de nous et continue son élégante ronde. Quelques passes plus tard c’est un minou moucheté qui nous ignore en beauté à peine nous a-t-il entendu. Un autre pelage noir traverse la ruelle sans même nous jeter un regard, il est si gros qu’on dirait presqu’un chien. Quelques minutes après c’est un gros matou noir et blanc qui nous fait sentir que nous l’importunons en son domaine. L’indépendance des chats me fascine toujours autant.
« C’est le paradis des chats ici ! » m’exclamé-je. « Mais le paradis c’est quand on est morts ?! » me répond mon grand. Bref silence – ses cinq ans m’impressionnent un peu plus chaque jour. Improvisant ce qui pourrait ressembler à un cours de polysémie, je lui trouve deux synonymes : c’est comme le palais ou le royaume des chats. Et lui de choisir l’appellation « le Château des Chats ». Peut-être est-ce son âme de poète en herbe qui le guide pour trouver cette expression porteuse d’une belle allitération ?
Quoi qu’il en soit, le Château des Chats est déjà devenu notre sortie préférée en ces temps si spéciaux, et quel que soit le surnom donné à ce lieu, tant qu’il y aura des interstices de nature qu’aucun confinement ne semble troubler, il me conviendra !
(les photos de chat viennent du site unsplash.com)
Très beau récit et que vive longtemps le château des chats
Merci ma petite maman <3
Génial, quelle chance d’être tombés sur un tel château. Je me languis de mes amis les chats, j’en vois très rarement dans mon kilomètre de confinement. Un jour, je pourrais caresser un chat ou un chien, un jour 🙂
Oui c’est vraiment une chance !
Je me demande, pour la première fois sérieusement, si je n’en adopterais pas un…
Et oui, je te souhaite bientôt une belle et douce compagnie animale !