D’un pays sans odeur
Oct 19, 2020 France 16

Je vous écris d’un pays nouveau pour moi. J’aurais adoré citer ici une destination méconnue qui vous aurez mis des pépites dans les yeux rien qu’à en lire le nom. Il n’en est rien. Je vous écris d’un pays sans odeur. J’ai perdu brutalement l’odorat et presque la totalité de mon goût avant-hier.

Je n’étais pas sûre d’avoir la maladie dont on parle tant. Je traverse une période très éprouvante, comme beaucoup d’entre nous. A la crise générale que nous vivons, se sont ajoutés un gros stress professionnel et des inquiétudes personnelles. Je me sentais en petite forme, et je pouvais encore tout mettre sur le compte de cet état de grande fatigue.
J’avais prévu de longue date un stage de méditation Vipassana. J’avais prévu de partir trois jours me reconnecter à mon silence intérieur, comme je l’avais fait une première fois il y a des années déjà. Je devais tout d’abord partir en avril, mais le confinement a eu raison de ma motivation. J’avais prévu de partir mi-octobre, et m’en réjouissais depuis des semaines. Mais j’ai réalisé que je devais rejoindre mes parents juste après. Était-ce sage de retrouver des personnes dites aujourd’hui fragiles alors que j’aurais partagé dortoirs et vie collective pendant trois jours avant de les voir ? Je devais à nouveau annuler ce départ.
Je me suis finalement décidée pour organiser une retraite individuelle dans une petite location. Et c’est là-bas, alors que je m’étais réfugiée dans mon silence quelque part au pied de la forêt de Rambouillet que c’est arrivé brutalement, en quelques minutes. Un instant je me délectais d’une tisane épicée, et quinze minutes de méditation plus tard, la tasse était insipide.
On le sait aujourd’hui la perte du goût et de l’odorat est l’un des symptômes les plus évidents du covid. La première fois que j’en ai entendu parler, alors qu’une collègue les avait elle-même perdu, j’ai été horrifiée : perdre le goût des aliments ? les odeurs de ce que tu aimes ? Et nous discutions de ce qui nous manquerait le plus si cela nous arrivait presqu’avec légèreté.
Alors que j’écris ces lignes, c’est mon troisième jour sans odorat et avec un goût très très très restreint et je ne sais ni quand ni comment ils reviendront.

La vie sans goût et sans odeur est très étrange.
Ce ne sont pas des sens essentiels dans notre société, comme le sont la vue ou l’ouïe. Mais je me sens choquée, comme amputée. J’ai été choquée en rentrant dans mon domicile après trois jours d’absence : je n’ai pas reconnu son odeur, à laquelle on ne prête pourtant jamais aucune attention. Cela sentait « blanc ». Je ne sais pas comment mieux décrire ce moment où j’ai réalisé. J’ai passé la porte et quelque chose n’était pas normal. J’ai écarquillé les yeux, tout était à sa place pourtant. Je me suis souvenue de ma perte de sens, et j’ai réalisé : ça ne sentait pas « chez moi ».
Je ne sais pas si cet état d’étonnement perdurera, mais je me laisse encore presqu’à chaque fois surprendre par la perte de ces sens. Je trouvais hier soir ma soupe bien fade. Pourtant elle était appétissante à regarder. Et je me suis souvenue, au moins cinq ou six cuillerées plus tard : ce n’est pas la soupe qui est fade, ce sont tes sens qui sont éteints.
Quand j’en avais discuté avec mes collègues, c’était l’odeur de mes enfants qui m’avait paru le plus insupportables à ne pas pouvoir sentir. A peine rentrée hier soi, j’ai été me réfugier dans le cou de mon cadet. Aucune odeur. J’ai sniffé le plus possible, rien. Heureusement, sa chaleur et sa douceur étaient intactes et m’ont réconfortée.

Quelle humilité m’enseigne cette maladie.
C’est incroyable de se dire que peut-être je ne récupèrerai jamais ce sens, aussi bêtement que cela : à cause d’un tout petit microbe. Bien sûr je pense que cela ne m’arrivera pas, je reste sereine face à mon total rétablissement, et si ce n’est pas le cas, je pourrais bien m’en inquiéter et en pleurer le moment venu.
Mais hier soir, dans ma cuisine, au-dessus d’une tisane qui m’a une fois de plus surprise par son insipidité, je me demandais : qu’est-ce que la nature devra-t-elle faire pour que nous changions enfin notre attitude face au Vivant, et profondément ? Faudra-t-il qu’un prochain virus plus virulent encore nous enlève instantanément la vue ou l’ouïe ? Évidemment je ne le souhaite à personne, mais la pensée a traversé un instant mon esprit sans odeur… Une pensée que certains jugeront niaise ou inappropriée, je le conçois, mais pour moi, le lien est là. Nous devons changer nos comportements personnels et sociétaux, dès aujourd’hui, et cette crise nous apprend l’humilité et nous rappelle notre place de simple vivant, parmi le Vivant…

En attendant, je me réjouis déjà du jour où j’aurais recouvré le goût et l’odorat : je suis sûre d’apprécier plus que jamais chaque chose à sa juste valeur… Et c’est ce que je vous souhaite, cher.e.s ami.e.s : profitez dès aujourd’hui de chaque odeur et de chaque senteur que la vie vous est permis de goûter !
Prenez soin de vous amies lectrices, amis lecteurs !

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16 comments on “D’un pays sans odeur

  1. Je te souhaite un bon rétablissement.
    Ça doit être tellement étrange cette perte d’odorat, il y a tellement d’odeur dans notre quotidien. C’est même un peu effrayant de se dire que je ne pourrais plus sentir l’odeur de ma fille ou mon amoureux.

  2. Je t’envoie tout mon soutien… et je croise les doigts pour que les choses reviennent rapidement à la normale pour toi. Des amis, qui ont eu les mêmes symptômes que toi, me disaient récemment que leur ORL leur avait conseillé de respirer 20 minutes par jour des choses aux odeurs marquées, pour se rééduquer… Ils s’étaient fait un petit plateau avec des épices et autres choses odorantes. Je ne sais pas si cela marche vraiment, mais bon, ça ne coûte pas grand chose d’essayer 🙂 Courage à toi dans cette période difficile !
    Aurélie.

  3. Oui, un pays sans odeurs où les aliments n’ont aucun goût perd indéniablement de son charme.
    Et je ne parle pas des êtres auxquels nous tenons par dessus tout quand ils perdent leur odeur familière !
    Alors soyons prudents, protégeons-nous et protégeons les autres, en particulier nos anciens (j’en suis un) plus fragiles parce qu »ils souffrent de pathologies qui rendent le virus vraiment dangereux. On est effaré de l’inconscience de certains, alimentée par les réseaux sociaux.
    Prends soin de toi et de tes proches !

  4. Comme c’est bon de te lire , de sentir …
    ….d’une autre façon…
    et de comprendre ce qui soudain te touche et qui nous touche …me touche profondément par l’expression de tes sentiments, sensations …par tes mots choisis…je devine l’amour qui te traverse !!!
    Merci Aurélie pour ce moment magnifique passé à te lire … je suis de tout ❤️Avec Toi

    1. Oui c’était bel et bien cela – une semaine « au fond du trou », une semaine de très grosse fatigue, et depuis ça va dans le bon sens !
      Merci d’avoir pris des nouvelles !

  5. Depuis quelques mois, nous traversons tous ces villes et ce pays sans odeur, où le parfum du jasmin sur les grilles des jardins, de l’urine dans les recoins sombres ou de la boulangerie peinent à traverser le masque. Un deuil de plus !

    J’espère que vous allez mieux aujourd’hui !!!

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