Voici dix jours que j’ai quitté Madagascar et, à quelques heures de Noël, me vient l’envie de vous ouvrir les pages de mon journal de bord.
Je suis partie 24 jours pour Madagascar, 24 jours pour honorer une nouvelle mission pour les guides Petit Futé.
Trois semaines et demie, c’est à la fois long et trop court. Long, quand on a deux marmots à la maison qui n’ont pas treize ans à eux deux, court quand on connait un tout petit peu la réalité malgache. Madagascar est grand comme la France et le Benelux réunis, mais les infrastructures de transports y sont désastreuses. Les routes sont mal entretenues ou inexistantes et il faut souvent deux journées entières pour parcourir un trajet qui nous prendrait moins de cinq heures en Europe. Dans ces conditions, 24 jours pour récolter toute la matière nécessaire pour actualiser et réécrire un guide de plusieurs centaines de pages, c’est peu.
J’ai tout de même souhaité relever le défi. J’ai eu la chance d’être soutenue par mon ancien collègue et ami Samy et son excellente agence de voyages locale, Escapades, qui m’ont grandement aidée à la création de mon itinéraire et pour la logistique d’une grande partie de ma mission. J’ai arpenté trois zones du pays : le Nord, de l’archipel de Nosy Be à Diego ; l’Ouest, aux alentours de Morondava et enfin la Route du Sud, qui m’a menée sur 987 kilomètres de la capitale Antananarivo à la balnéaire Tuléar.
Ce voyage restera avant tout marqué par les extraordinaires rencontres qui ont jalonné ma route. Je l’ai réalisé à mon retour, être autrice de guides de voyage est un incroyable métier pour rencontrer de belles personnes. Pour cette mission comme pour la précédente – qui s’était déroulée en Tunisie au printemps dernier, j’ai décidé d’honorer ce travail le cœur le plus ouvert possible. Je suis évidemment consciente de l’urgence climatique, j’en reparlerai à la fin de mon journal de bord, et promouvoir le tourisme aujourd’hui ne cesse de me questionner. Mais quitte à effectuer ce travail, j’ai décidé de le réaliser avec tout mon cœur, en cherchant le maximum de personnes et adresses engagées, que ce soit pour les communautés ou pour les territoires. Cœur-guidée, ouverte à l’instant présent et à la rencontre, j’ai eu la chance de croiser la route d’individus merveilleux et de vivre de superbes expériences à leurs côtés.
Pour autant ce voyage ne s’est pas passé sous cloche, bien au contraire. À maintes reprises, j’ai été touchée, questionnée et bouleversée par les crises que traverse Madagascar. Crises à la fois sociale, politiques et écologique. Et quand elles durent depuis des décennies, peut-on encore parler de crises ? « Systèmes social politique et écologique qui ne fonctionnent pas » serait plus juste. Plusieurs fois par jour, je me suis sentie à la fois révoltée et impuissante.
Je suis revenue de Madagascar avec d’énormes points d’interrogation dans la tête et, supérieure à tous les autres sentiments, l’envie d’y retourner.
Je laisse ici ce préambule qui pourrait donner lieu à tant de lignes encore et partage avec vous, tel qu’elles ont été couchées à chaud ou presque, les pages de mon journal de bord.
Belle lecture !
Dimanche 20 novembre, depuis l’Exora Beach, Nosy Be
Premiers mots sur Mada…
Sur le tarmac : chaleur, chaleur humide, le chant des cigales à plein volume. Route superbe pour rejoindre l’hôtel. Du vert, du vert, du vert.
Manguiers, palmiers, bananiers, ylang-ylang que j’apprends à reconnaître et tant d’autres arbres encore inconnus. Ylang-ylang qui embaume ma serviette de rafraîchissement d’accueil, une de mes odeurs d’huile essentielle préférée depuis des années.
Les gens beaux. Moins pauvres que sur la grande île, comme on nomme ici l’île principale de Madagascar. Toujours ce curieux mélange : beaucoup d’Afrique et un peu d’Asie.
Les gros et/ou vieux messieurs blancs, les Vazaha, qui sont ici « chez eux », les touristes trop dénudés. Les Malgaches, peu enclins à la critique et souriants, toujours.
Ambataloaka, cette petite ville dédiée aux touristes. Pas si oppressante en journée, mais loin d’être ma tasse de thé non plus.
Superbe hôtel, l’Exora Beach, avec un époustouflant coucher de soleil pour mon arrivée. Des enfants qui rient sur la plage et qui rient de plus belle quand je leur fais des grimaces…
Lundi 21 novembre, depuis le Jardin Vanille, Nosy Komba
J’ai le Jardin Vanille, l’hôtel entier, la vue sur mer et coucher de soleil pour moi seule…
Première fois que j’ai un peu de temps depuis mon vol de nuit, vendredi soir. Ce lundi de 16h30 à demain 8h30. Du temps pour enfin réaliser où je suis, la chance que j’ai d’être où je suis.
Les roulis de l’océan, les grillons au loin, des coups sur le bois des quelques maisonnées en contrebas, le soleil qui descend sur la mer pile face à moi, à peine ombré par un énorme manguier, moult arbres en contrebas encore, deux cocktails devant et enfin du temps vide.
Troisième coucher de soleil sur l’archipel de Nosy Be, compétition de beautés, de grâce et finalement de gratitude.
Joie absolue ce soir. Perfection de l’instant. Solitude délectée.
La journée d’hier fut éprouvante. Intensissimes douleurs de cycle féminin atteignant un seuil inconnu. Je préfère éviter les calmants pour m’écouter et écouter la douleur surtout. Si je prends un antidouleur, ne vais-je pas forcer et aggraver le mal qui opère derrière la douleur ?Je choisis d’écouter mon corps, petits pas, rythme légèrement ralenti. Pause après le repas. Et des prières devant cet arbre sacré, cet énorme banian étalé aux environs de Bevoay, offert par les Indiens il y a trois siècles, en signe de paix. Je frissonne à son abord. Je me connecte puis l’embrasse et enfin m’étale littéralement sur lui. Je le prie pour mettre fin à mes douleurs. Ce sera réalisé en quelques heures.
La journée se termine par la fin du tour de l’île, avec un superbe coucher de soleil au Mont Passot – remarquable panorama à 360° sur Nosy Be.
Dîner très sympathique avec Jean-Louis, un Toulousain vivant ici depuis plusieurs décennies, il m’offre son éclairage si pertinent sur son quotidien malgache.
Joie et gratitude. Journée toute tournée vers la mer. Une heure et demie de bateau vers Nosy Iranja, on embarque au pied de mon hôtel. Je suis seule à bord avec mes deux jeunes guides, Keegana et Florencia, et notre capitaine Joh.
Superbissime Nosy Iranja : deux îles jumelles reliées par un banc de sable, eaux turquoise, forêt tropicale, sable fin… un décor de carte postale, de fantasme absolu de tout Robinson en herbe…
Calme, douceur, luxuriance.
Des beautés naturelles plein les mirettes. Eaux douces aussi, 25, 28 degrés peut-être.
Plus tard, deux heures et demie de bateau en mode « tap-tap » non-stop, pour rejoindre Nosy Komba depuis Nosy Iranja et ce soir, début de maux de ventre…
Mardi 22 novembre, depuis la Nosy Lodge, Nosy Be
À nouveau un superbe coucher de soleil alors que je me pose pour prendre la plume. Nouvelle compétition de composition de couleurs aussi sublimes les unes que les autres.
Accueillie avec tant de cœur par la gérante Sylvie. Que les expatriés rencontrés ici sont passionnants, que leurs parcours de vie sont fascinants… Comment décide-t-on de vivre si loin de la France et d’entreprendre ici ?
La nuit dernière fut pour le moins mouvementée. Le ventre m’a travaillée. Une tourista ? Le contrecoup des deux heures de tap-tap en bateau ? Au réveil, je serai vidée et resterai fort fatiguée toute la journée.
J’ai aussi vécu l’un des plus énormes orages de ma vie sur cette île de Nosy Komba. Le tonnerre est tombé à quelques mètres à peine de ma hutte-chambre. Le sol a tremblé plus d’une fois.
Le réveil fut embrumé, comme une bonne partie de la journée. Je sens mon corps sur la réserve et même en grande sous réserve, moi qui suis partie de France après quatre semaines de grippe-double-otite…
Alors que je change d’hôtel tous les soirs, mon corps crie son besoin de calme et de repos.
La journée restera pourtant dans ma mémoire. Courte sortie avec le chouette guide naturaliste et protecteur de la nature, Nestor. Je découvre la culture de la vanille et tant de plantes de Nosy Komba.
Un bateau nous trempe et nous emmène de l’autre côté de Nosy Komba, pour le « Lemuria park ». Étrange endroit. Les lémuriens makis y sont semi-domestiqués. Un fléau : les animaux sont habitués aux hommes à outrance, sont moins autonomes pour manger. Une chance, me dit-on aussi : ils sont ainsi préservés, leur habitat est respecté et ils ne sont pas tués. L’endroit couvre une petite partie de l’île seulement, les guides locaux sont obligatoires. Avant que je n’aie le temps de me demander si c’est bien ou pas, je me retrouve avec un morceau de banane dans la main et un maki sur l’épaule. Le lémurien est léger, ses pattes si fines (le poids d’un chat ?), son poil plus doux encore…. Je crie quand il touche mon épaule. Joie immense et tout enfantine de ce contact inattendu. Juste après la joie, les interrogations déjà, et la certitude que ce n’est pas bon pour les animaux.
Une route assez longue (mon corps est épuisé) et me voici sur l’île de Nosy Sakatia. Déjeuner sur une improbable et incroyable plage privée… que j’ai pour moi seule !
Le meilleur du jour est devant moi encore : nous voguons vers des herbiers où des tortues géantes viennent se régaler. Je nage avec des tortues marines ! Beaucoup ont plus de cent ans, dépassent les 200 kilos… Certaines sont lentes, d’autres, plus jeunes, plus rapides au point que je peine à les suivre…
Beauté, osmose, grâce, fluidité… Admirer le détail des carapaces et comprendre que chacune d’elles est unique. Observer les pattes puissantes et si agiles, de véritables gouvernails de cuir jaune. Puissance massive, lenteur majestueuse. Moments suspendus. J’oublie ma fatigue et tout le monde extérieur.
Mercredi 23 novembre, depuis l’Iharana Bush Camp
Incroyable hôtel en pleine nature. Météo et ambiance parfaites.
Nature, élégance, simplicité et classe. Quatre mots peu faciles à allier réunis ici avec brio…
Très belle journée. Regain de vivacité enfin ressenti dès le réveil. L’énergie, la curiosité, la forme, l’envie – tout est revenu en même temps.
Belle rencontre avec mon guide Farouk qui m’accompagne pour quitter Nosy Be et rejoindre la Grande Terre. Dès le premier regard, je l’ai bien senti… à juste titre ! Route, visites, route et arrivée dans ce lodge superbe.
Je me sens mieux sur la Grande Terre qu’à Nosy Be, je suis une femme de la terre plus que de l’eau, je crois…
Jeudi 24 novembre, depuis l’Iharana Bush Camp
Caresse du vent dans les palmes. Contact intense avec la nature, dans le luxe impeccable pourtant. Caresse du vent sur ma peau. Chant du souffle dans les palmes et dans les feuillages. Au loin des vaches, ou plus certainement des zébus, beuglent. Odeur des branchages et des palmes séchés de la toiture.
7h10 du matin, les cigales se mettent à chanter sans préambule. Le soleil chauffe haut et fort déjà. Ce n’était qu’une vague, les cigales se sont tues.
Des rumeurs malgaches montent des cuisines, une telle similitude avec le portugais brésilien à mes oreilles, ç’en est surprenant.
Dans ma chambre plus tôt, j’ai adoré voir danser le rideau de ma porte d’entrée qui ne se ferme pas, écouter jusqu’à plus soif les murmures de la nature et me laver avec cette salle de bain si aérée – ce matin un gros lézard fluorescent n’a rien perdu de ma douche…
Quelques heures plus tard, depuis Diego
Coup de cœur absolu pour la randonnée de ce matin dans les Tsingy de Iharana… Osmose absolue avec les éléments. Force des roches, enchantement minéral. Force absolue ressentie, vibrant dans chacune de mes cellules.
Beauté totale du haut des roches, cette vue à 360 degrés en haut des Tsingy.
Surprise de la balade dans la grotte. Balade assez longue, où nous redescendons une bonne partie de ce qui a été arpenté juste avant. Peur au début, puis confiance et agréable sensation, d’appartenance même.
Puis je réalise à Zo, mon guide d’une matinée, une séance d’énergie. Il a mal au pied. Je mets les mains, puis les mots sortent de ma bouche et… visent juste. Je suis euphorique, pleine de gratitude et d’un bonheur immense.
Reste du jour : route, beaucoup, stops hôtels, visite des Tsingy rouges – décevante, ce n’est que du sable pétrifié dû à l’érosion des sols par l’homme – et de belles discussions avec mon guide Farouk en voiture.
Samedi 26 novembre, depuis Tana
Incroyable journée hier. Pour longtemps marquée en moi. La nuit précédente à l’hôtel Lakana fut courte, beaucoup beaucoup d’énergie en moi.
Réveil matinal, petite marche sur longue plage face à l’hôtel. Sable fin, pêcheurs et zébus : le tout, on ne peut plus photogénique…
Je pars ensuite pour Cap Diégo et ses baobabs. Mes premiers baobabs, formant des paysages hors du commun pour moi : les arbres majestueux sont plantés sur une colline surplombant les eaux turquoise. Nous marchons, mon guide et moi, pour les rencontrer. Je ne « sens » pas vraiment le premier que je câline. Le second, c’est en revanche une révélation. Je vibre près de lui. Mon corps s’accroche à cette écorce inédite à ma peau. Mon bas-ventre frémit.
Je lève les yeux et découvre seulement cette trace unique et reconnaissable entre toutes sur l’écorce, pile là où mon front est collé depuis plusieurs minutes. Je chante, j’honore l’instant sacré.
La balade reprend. Nous rejoignons le plus grand des baobabs, peut-être plusieurs fois centenaires. Avec son énergie, je connecte à l’âme de Farouk pour une session d’énergie, la seconde sur le sol malgache.
Balade dans la chaude Diégo l’après-midi. Monuments coloniaux décatis, quelques rues enchevêtrées où les habitants semblent tous se connaître, la chaleur intense du vent. J’aime ce que je devine être l’âme de cette ville… je fais ici deux belles rencontres, celle de Laurent, un collègue du Petit Futé, et celle de Rémy qui gère l’agence Évasion Sans Frontière et l’Iharana Bush Camp…
Les soirées de Diégo ont la réputation d’être chaleureuses. La mienne fut à la hauteur de la tradition, pour finir par lire Christian Bobin dans la chaleur de la nuit.
J’apprendrai le décès de cet immense et inspirant poète le lendemain matin – synchronicité s’il en est : je n’ai ouvert son livre (l’unique emmené avec moi pour ce voyage) qu’hier pour la toute première fois en huit jours.
Ce jour, vol matinal, le guide Maxime tellement professionnel et accueillant m’attend à l’aéroport. A ses côtés, Tana est moins difficile d’accès pour moi qu’en 2017…
La suite de ce journal de bord, partagé en quatre parties, est à venir ces prochains jours et semaines.
Lire le deuxième épisode.
Quelques liens utiles :
*L’agence Escapades
*L’adresse e-mail de mon excellent guide Farouk Ali
*Exora Beach Hôtel
*Jardin Vanille
*Iharana Bush Camp
*Nosy Lodge
*Les guides Petit Futé, pour lesquels j’étais en mission à Madagascar
Evidemment, ça fait rêver, on veut écrire tout de suite à Farouk Ali!
Y a plus qu’à …
Evidemment, je te le souhaite !