Voici la deuxième des quatre parties de mon journal de bord malgache.
Le début, c’est par ici.
Belle lecture !
Dimanche 27 novembre, depuis l’aéroport de Tana
Très bonne soirée hier avec Mbola et Maxime, respectivement mon agente de voyages et mon guide ici à Tana. Que la situation de Mada est difficile… Je ressens un tel sentiment d’impuissance, je n’ose imaginer celui des Malgaches eux-mêmes…
Un pays si riche, si varié, avec tant de potentiels, littéralement pillé par quelques familles, cet alliage de politiciens corrompus et de familles tenant la vie économique de tout le pays, qui asservissent l’ensemble du peuple. Tellement dur de ne voir aucune solution dans tout cela…
Et la place du tourisme ? Nos questions occidentales sur le Flygskam (littéralement « honte de prendre l’avion ») versus l’impact que peut avoir cette économie sur Mada (500.000 emplois directs et indirects), une économie peu ou pas corrompue et, même si elle est souvent tenue par des Blancs, une économie qui profite tellement plus directement aux locaux, par rapport à tous les autres secteurs… Il ne peut y avoir de réponse simple face à une telle complexité.
Le dîner fut riche : tant d’échanges entre nous trois aux parcours et regards ouverts et variés…
Lundi 28 novembre, depuis le centre Tsaravahiny, à Mangily – Kivalo
Assise dans la salle à manger du centre communautaire, à nouveau les palmes chantent, une petite musique sort d’une maison, les oiseaux chantent. Plus loin, la rumeur d’enfants qui jouent, mêlée aux bêlements d’un chevreau.
Superbes dernières 24 heures…
Arrivée à Morondava, j’ai pourtant eu un doute. Je n’ai pas « senti » mon chauffeur. Sympathique, oui, mais ce n’est pas un guide comme initialement prévu. J’écoute entièrement mon intuition : je ne peux pas partir dans la pampa malgache trois jours avec lui. J’appelle Mbola, mon agente si présente pendant mon périple. Deux heures plus tard, enfin une solution : un « vrai » guide, Théo, m’accompagnera.
L’Allée des Baobabs et déjà je me détends. Majestueuse allée, immenses baobabs. Arbres si inédits à mes yeux et à chacun de mes sens. Théo semble vouloir bien faire, il partage avec moi le maximum d’informations. La piste rouge se déroule avec plus ou moins de facilité jusqu’à la réserve du Kirindy. Une forêt primaire sèche. Tellement en danger. Quelques heures plus tôt, la discussion avec mon voisin de vol, en mission pour le USAID pour lutter contre la déforestation, m’a tant appris. 50% de la forêt primaire restant depuis 2009 a brûlé. Inconcevable chiffre. Pour principalement cultiver du maïs qui sera exporté ? et dont les habitants ne toucheront rien… Pour masquer le trafic de bois précieux ?
À nouveau, je ressens un tel sentiment d’impuissance…
Sortie nocturne dans la réserve du Kirindy. Théo est un bon guide : nous verrons quatre types de lémuriens, dont deux à quelques dizaines de centimètres de moi. L’instant est suspendu.
Ce n’est pourtant rien par rapport à la visite matinale au Camp Amoureux. La forêt y est préservée par les communautés locales elles-mêmes. Le guide local du camp a pisté pour nous les lémuriens. Un premier groupe de Sifaka nous fait face. Lémuriens à front roux, ils vivent en groupe. Ils sont si près de nous. Joie immense de les voir dans leur habitat et non domestiques, de les observer dans leurs us et coutumes. Une maman en porte un sur son dos, deux jouent puis se cherchent des poux. Tous se gavent de feuilles. Je les admire longuement. Ils filent ensuite continuer leur festin plus loin.
Le guide me mène à un autre endroit. Ces lémuriens-ci sont des Guidro, gris et plus petits que les premiers. L’un descend presque face à moi puis remonte continuer sa vie de mangeur de feuilles…
Plus tard, je vois l’un d’eux, une mère, allaiter son petit sous mes yeux. Ils sont à la fois si étranges et si proches de nous autres mammifères…
La dernière rencontre m’émeut plus que tout. Le guide trouve un lémurien Microcebus Mirinus, encore dans son trou – le creux d’un arbre où il a ses quartiers. Minuscule lémurien nocturne, ce microcèbe sort un peu en journée pour se charger en énergie.
J’attends devant le creux de l’arbre, sur les conseils de mon guide. Au bout de quelques minutes, le lémurien sort sa tête. Des yeux immenses derrière une frimousse grise des plus craquantes. J’avance sans un bruit. Je reste à 50 centimètres de lui. Longuement. Commence une partie de cache-cache intense, improbable, unique et magnifique. Il rentre et sort sa tête à plusieurs reprises. Il me sent et m’entend seulement. Pour ma part, je le vois et suis sous son charme si inattendu et absolu…
Mardi 29 novembre, Depuis l’Entremer, Belo
Face à l’océan, côté Canal du Mozambique, retour sur ces 24 dernières heures.
Après avoir quitté le Microcebus Mirenus si charmant, une heure de piste me mène à Kivalo. Je suis accueillie par Alfeo : « Ici, il n’y a pas d’électricité, l’eau vient du puits, c’est un accueil communautaire » – ce brief succinct donne le ton.
Nous partons pour une balade en pirogue dans la mangrove. Mamy est mon guide du jour. La peau très foncée, les locks longues, un look « rasta » qui me surprend, même si j’ai déjà vu quelques Mlagaches à l’allure similaire à Morondava. Sa voix est posée et précise. Il m’explique les différents types de palétuviers qu’on trouve ici et les autres plantes et animaux. Mamy guide notre pirogue qui fend l’eau tout en douceur.
Plus tard nous nous arrêtons cueillir des pousses de palétuviers que nous repiquerons plus loin. Mamy plonge alors dans l’eau. La chaleur est tellement forte sur ce delta d’eau salée, je l’y rejoins tout habillée, suivie bientôt par nos trois acolytes : mon chauffeur Harys, mon guide Théo et l’autre piroguier qui habite le village. L’eau est parfaite, fluide, douce alors que salée, tellement agréable.
Lors du trajet pirogue retour, Mamy, Théo et le piroguier se mettent à chanter a capella, polyphonie superbe sur l’eau qui file. Incroyable moment, bonheur pur.
Après la sieste, nous partons en balade dans le village. Tranquillité, sérénité, langueur et sens de l’accueil. Je sens ma présence de Vazaha, comme on nomme les Blancs, appréciée. On s’arrête ici ou là pour échanger avec les villageois. Sourires et curiosité commune.
Sur la petite place du marché commence alors une surprenante et profonde discussion avec Mamy sur la méditation et les capacités énergétiques. Nous avons peu ou prou la même pratique avec nos mains, je nous sens vibrer à l’exacte mesure…
La soirée, elle aussi, est si inattendue… Mamy, le piroguier du jour, Alfeo et un dernier joueur de kabosse, l’ensemble de ce qui constitue un groupe de musique, se mettent à jouer pour moi. Nous en avions parlé un peu plus tôt, leur passion c’est la musique, la mienne, la danse.
Une fête s’improvise sous l’unique éclairage de la zone. Les femmes du village passent la majeure partie de la soirée dans l’ombre du grand arbre. Je dois aller les chercher à plusieurs reprises pour qu’elles dansent un peu avec moi. Si je suis réservée au début, je me sens peu à peu à l’aise et ose de plus en plus de danse. Le partage par la danse est toujours aussi intense, peu importent les latitudes. A nouveau, bonheur pur…
Mercredi 1er décembre, depuis l’Entremer, Belo
Deux nuits passées à l’Entremer. Première fois depuis mon départ que je déballe mes affaires pour plus d’une soirée.
Brillante idée d’avoir choisi cet hôtel pour une pause à mi-parcours… Bungalow face à la mer, génialissime hôtesse, Laurence, belles activités et enfin un peu de temps libre.
Roulis des vagues en bande sonore permanente, banc de sable et bandes de bleu sous mes yeux à chaque instant…
Une petite structure, toute de bois et de branchages magnifiquement aménagée et décorée, au goût à la fois raffiné, naturel et si bien intégré à la nature environnante.
Quelle surprise que la rencontre avec Laurence. Je pressentais que nous nous entendrions, je n’avais pas deviné sur quel plan. Laurence Ink, une autrice à succès – son premier livre « Il suffit d’y croire… » fut un best-seller, un parcours de vie si atypique, une rupture familiale, une vie dans le « bois » québécois, puis une vie ici. Une épreuve immense il y a quelques années, mais elle est toujours là. La soixantaine qu’on ne peut lui deviner, une bienveillance infinie et un grand respect à l’égard de tous, et avant tout des Malgaches.
De très belles discussions sur les destins, sur l’écriture, sur le monde de l’édition, sur Madagascar bien sûr, sur les différences culturelles et sur tant d’autres sujets encore…
Je ressens une gratitude infinie pour cette rencontre si inattendue.
Avant-hier, balade (chaude) au village et découverte des fameux « boutres » goélettes, entièrement construites à la main, qui font la renommée du village…
Hier, je passe la matinée en mer avec Niro, un piroguier Vezo recommandé par Laurence. Nous partons pour la Baie du Menaky. Surprise sur l’eau, chaque parcelle du corps de ces hommes de la mer qui m’accompagnent est intensément présente, à l’écoute, à l’affût même de la mer. La pirogue (lakana) est légère et puissante à la fois. Niro me guide pour un peu de snorkeling dans la mangrove puis une courte balade à terre aux sons des oiseaux dans la forêt sèche.
Pour le trajet retour, le vent se lève, la pirogue fend l’eau avec force et silence, les cieux sont sublimes. Une tempête se lève finalement. Arrêt obligé au village de Menaky. J’y resterai plus de deux heures, Luocina me veillera tout le temps passé et partagera son riz et son poisson avec moi. Cadeau de l’instant présent…
Jeudi 2 décembre
Mon escale à Belo-sur-mer fut parfaite en tout point. Du repos pour le corps : trois nuits au même endroit, bonheur ! Du repos pour l’âme : je m’y suis sentie comme un poisson dans l’eau. Du grain à moudre en tout point : de si riches échanges avec Laurence. Sur l’écriture donc, sur Madagascar, sur tant d’autres choses…
Laurence m’a aussi permis de vivre de belles rencontres et activités avec les locaux. Comme cette matinée passée hier avec Jean-Pierre, le charpentier de Laurence, qui aime les langues étrangères. Nous partons pour une visite toute simple et sympathique du village de Belo. Je lui demande si je peux faire du « tabaki » sur mon visage, il m’invite à son domicile pour y rencontrer sa femme Claudine. Moment de partage, elle, gênée par son français et sa condition sans doute, moi, essayant de la mettre à l’aise. Ce sera presque sans un mot que nous nous étalerons cette poudre de racine de tamarin écrasée sur nos visages respectifs.
Dans le village, toutes les femmes regardent ensuite mon visage poudré avec bienveillance. La température grimpe vite, Jean-Pierre et moi nous nous posons ensuite à la terrasse du resto « Chez mon ami » pour nous désaltérer. Nous y partageons un improbable moment : cours d’anglais contre cours de malgache… Jean-Pierre a vraiment envie d’apprendre. Il en est plus que touchant et j’essaie de contribuer au mieux à son élan.
Ma dernière soirée à l’Entremer sera partagée avec le primatologue auteur allemand Roland Hilgartner et sa femme Mamisolo. Discussion en français sur Mada bien sûr, mais aussi sur l’éducation des enfants dans un couple mixte !
Vraiment, cette escale fut belle…
Vendredi 3 décembre, depuis le restaurant Chez Maeva
Trois heures de navigation me permettent de retrouver Morondava depuis Belo. Et la certitude d’y retrouver des amis.
J’ai une longue et intéressante discussion avec Naina, le président de l’association des guides de la ville. Je l’avais croisé à l’aéroport et avais aimé son regard vif. On échange longuement sur le Kivalo, sur le tourisme à Morondava, je sens sa volonté de faire avancer les choses dans le bon sens. C’est une belle personne.
Je m’offre une petite pause à l’hôtel sous grosse chaleur avant de retrouver Théo et Mamy pour un « vendredi magnifique ». Excellentissime soirée en la compagnie de ces guides devenus amis… Mamy est même venu du village en charrette à zébus pour la soirée et il rentrera la nuit finie, à 4 heures du matin, pour deux heures de marche à pied !
Respect, confiance mutuelle, joie manifeste d’être ensemble, nous connaissons notre sens de la fête commun depuis la soirée au village, plus tôt dans la semaine. Mamy, c’est le chant, son expression totale, Théo, c’est chant mais aussi danse, pour mon plus grand bonheur… Ils chantent d’incroyables karaokés avant qu’on parte au Cobra où l’on finira par tant danser et eux encore chanter… Avoir deux talentueux chanteurs traditionnels sakalava qui vocalisent à de nombreuses reprises pendant la soirée… mon bonheur est entier !
Samedi 4 décembre, depuis l’hôtel le Renala
Coup de cœur absolutissime pour l’après-midi passé hier à l’Allée des Baobabs. Baobab en malgache se dit Renala : la mère de la forêt.
À peine arrivée au café, avec beaucoup d’avance sur l’heure du coucher du soleil, je suis touchée de plein fouet par l’énergie des arbres massifs et majestueux. Nous y passons du temps, avec Naina et Théo. Longues et sympathiques discussions. Je fais ensuite de nombreux câlins aux baobabs.
Je me connecte à eux et je sens leur peine. La peine des corps meurtris, la peine de la terre meurtrie, violentée, violée, abusée… La peine immense de la terre malgache meurtrie, violentée, violée, abusée. Je pleure contre le tronc d’un large baobab.
Nous guettons ensuite les couleurs du couchant…
Mes mains ne cessent de chauffer un seul instant, je sens la magie de l’énergie des baobabs qui se loge dans mes propres cellules.
A suivre…
Quelques liens utiles :
*L’agence Escapades qui m’a soutenu pendant ce voyage
*L’hôtel Entremer à Belo sur Mer
*Le WhatsApp de Naina, le président de l’association des guides de Morondava : +261 34 91 820 27, pour organiser un séjour au Kivalo ou dans la région de Morondava
*Les guides Petit Futé, pour lesquels j’étais en mission à Madagascar
La célèbre allée des baobabs que je n’avais pas pu aller voir lors de mon voyage à Madagascar.
Merci pour la balade et merci de me rappeler également que retourner sur la Grande Ile pourrait être une très bonne idée.
Avec grand plaisir cher Laurent ! Oui oui et re-oui : je ne peux que t’encourager à voyager à nouveau à Mada (et on me dit dans l’oreillette qu’un nouveau guide sur Madagascar sort bientôt 😉 )