Puis-je m’autoriser à être heureuse en ce moment ? J’ai eu récemment une conversation avec une personne proche qui est venue me titiller sur cette question. Une fois la première émotion passée, je me suis dit que cela pourrait être le sujet d’un bel article.
La conversation en question a débuté ainsi :
– Ça va en ce moment ?
– Moyen moyen ?
– Mince c’est la santé ?
– Non ça va, mais quand on voit tout ce qui se passe en ce moment, il faut être égoïste pour se sentir heureux.
Cette dernière phrase m’a clouée au sol.
Je n’ai pas su quoi répondre et j’ai préféré me taire, toute réponse à chaud aurait probablement produit l’inverse de l’effet escompté. Le lendemain matin cette petite phrase m’est revenue. Je me suis alors dit que l’écriture d’un article me permettrait sans doute d’y répondre posément.
Peut-on s’autoriser à être heureux en ce moment ?
Tout crie « Oui ! » en moi. Au-delà de l’intuition, développons !
Avant tout, me vient une image de mon enfance, ou plutôt deux images.
Toute petite, j’étais passionnée des animaux. J’ai joué d’innombrables fois à la vétérinaire, imaginant que toutes mes peluches étaient de réels animaux et que je les sauvais sur mon lit devenu une arche de Noé magique. Puis, vers mes 7 ou 8 ans, j’ai réalisé qu’on s’occupait mieux de nos animaux que de nombreux êtres humains. Je me souviens précisément de cette pensée venue dans ma jeune tête : on donne de la pâtée ultra élaborée à nos chats et chiens français alors que certains enfants n’ont même pas de pain ou de riz. Ceux qui sont comme moi nés dans les années 1980 s’en souviendront peut-être : c’était l’époque des terribles famines en Somalie où des collectes de riz et de denrées alimentaires étaient organisées dans les écoles françaises. J’ai alors arrêté d’adorer les animaux et j’ai commencé à regarder mes congénères humais différemment.
Je ne sais plus si c’est au même moment ou juste après, mais j’ai eu une espèce de révélation : si moi petite, vivant en France, j’avais toutes les conditions pour être heureuse, je me devais d’être heureuse au nom de tous ceux qui ne bénéficiaient pas ces conditions basiques.
C’était simpliste et empli d’injonctions, mais je me suis ensuite obligée à apprécier tout ce qui pouvait l’être en toute circonstance. Parfois en payant le prix fort, car plus d’une fois je me suis tu à moi-même mes propres souffrances.
J’étais peu ou prou dans ce mode de fonctionnement pendant des années. Pendant plusieurs décennies même (cela ne me rajeunit pas d’écrire cela !).
Et puis mes maternités sont venues bousculer mes certitudes. Cette curieuse année 2020 en a également bousculé plus d’une. Depuis, j’apprends à accueillir et à accepter mes émotions quelles qu’elles soient. Quand je vis des émotions négatives, je ne les ignore plus et les traverse avec le plus de présence et de grâce possible. Cette nouvelle manière d’être me rend probablement plus présente à l’ensemble de mes émotions, et donc aussi aux émotions positives.
M’obliger à être heureuse coûte que coûte n’a pas de sens. Je ne suis pas responsable des famines ou des guerres dans le monde. Ce lien me paraît aujourd’hui un triste héritage de notre culture culpabilisatrice. Mais me sentir moi-même malheureuse car une grande partie de l’humanité l’est n’a pas beaucoup plus de sens à mes yeux.
S’obliger à se sentir heureux ou se condamner à être malheureux car le reste du monde ne va pas bien sont deux attitudes aussi infondées l’une que l’autre. Je pense qu’elles coupent profondément celui qui les ressent de ses émotions, de son être et de son bonheur.
Etty Hillesum l’a démontré beaucoup plus brillamment que n’importe laquelle de mes lignes ne pourrait le faire. Comme je vous le disais ici, alors que, juive, elle vivait l’oppression nazie au quotidien dans l’Amsterdam occupée des années 1940, Etty Hillesum a réussi à cultiver sincèrement sa joie jusqu’à la fin de sa vie. Elle était tout sauf ignorante de sa propre situation et des atrocités qui se déroulaient en Europe, mais elle a cultivé au quotidien sa capacité d’émerveillement. Etty Hillesum est une réelle enseignante de l’art du bonheur. Elle écrit par exemple :
Notre unique obligation morale, c’est de défricher en nous-même de vastes clairières de paix et de les étendre de proche en proche, jusqu’à ce que cette paix irradie vers les autres. Et plus il y aura de paix dans les êtres, plus il y en aura aussi dans ce monde en ébullition.
Pour la personne avec qui je parlais, pour moi-même, comme pour la majorité d’entre vous qui lirez ce blog, nous vivons en bonne santé dans un pays où tous nos besoins premiers sont assouvis.
Les raisons de nous réjouir au quotidien sont nombreuses, en voici quelques-unes parmi tant d’autres : un lever de soleil, les couleurs si belles de l’automne, un bon repas partagé, une méditation en « live » comme Facebook et Instagram en regorgent, l’appel d’un proche avec qui partager ses peines et ses joies…
Comme je le disais au début du confinement, cultivons la joie et la sérénité malgré tout. Aujourd’hui, je le dis avec plus d’assurance : cultivons la joie et la sérénité avant tout !
Au-delà de ce que j’ai déjà pu écrire, me viennent encore ces idées simples mais fondamentales pour moi : coupons-nous des informations en continu plus anxiogènes les unes que les autres, essayons de mettre notre mental en pause, revenons le plus souvent possible au présent, prenons le temps de ressentir les simples battements de votre cœur. Cultivons notre spiritualité aussi. Dieu, Allah, l’Univers, quoi que ce soit que vous croyez, essayez de vous en remettre à plus grand que vous avec joie et confiance. Dessinons écrivons peignons dansons dans notre salon écoutons de la belle musique cuisinons embrassons un arbre courons…
Faisons tout ce qui nous plait pour nous ancrer au présent, ce seul temps où l’on peut être heureux.
Alors oui, je l’affirme : si on ne « doit » pas être heureux, on peut avec certitude s’autoriser à l’être !
Le mot de la fin sera pour Charlotte Delbo, une autrice trop peu connue qui non seulement survécut à Auschwitz mais en tira une brillante œuvre littéraire.
Sa « Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants » me bouleverse, et surtout ces quelques mots :
Je vous en supplie
Faites quelque chose
Apprenez un pas
Une danse
Quelque chose qui vous justifie
Qui vous donne le droit
D’être habillés de votre peau de votre poil
Apprenez à marcher et à rire
Parce que ce serait trop bête
A la fin
Que tant soient morts
Et que vous viviez
Sans rien faire de votre vie.
Aujourd’hui comme chaque jour de notre vie, autorisons nous à vivre et à être heureux cher.e.s ami.e.s !
Juste MERCI……..commencer ma journée avec cette très belle réflexion, ces citations, tellement de grâce ………me conforte dans mon envie d’être vivante et heureuse.
Mille mercis Françoise d’avoir pris le temps de laisser un commentaire !
Je suis ravie que mes mots vous touchent.
Très belle journée à vous
« On peut avec certitude s’autoriser à l’être ! », une phrase à écrire, à encadrer et à accrocher au mur, afin de la croiser inévitablement de ses yeux pour que l’on se rappelle au quotidien que l’on a le droit d’être heureux (mais aussi le droit de ne pas l’être). Merci pour cette belle réflexion.
Merci pour ton passage ici. Je suis ravie que cette phrase fasse écho en toi !
Entièrement d’accord avec vous. S’autoriser à être heureuse , nous apporte de la sérénité et n’enlève rien aux autres sinon par contagion leur apporter un peu de paix.
Lire vos messages est un réel plaisir. Merci.
Merci pour votre mot ici Nicole – je suis ravie que mes lignes vous plaisent !