En février, je suis repartie dans le Sud tunisien pour la mise à jour du guide Petit Futé. Après une découverte de la ville de Sfax, plus agréable que je ne l’aurais cru, je suis partie sur un archipel. Je suis totalement passée à côté de sa découverte. Je suis ensuite repartie vers Douz et le Sahara…
Je prends enfin le temps de vous ouvrir les pages de mon journal de bord :
Sur le ferry de retour vers Sfax
Est-ce possible de passer totalement à côté d’une visite ? d’une île ? d’un archipel entier ?
Je ne sais pas, mais alors pas du tout, si j’ai aimé les îles K.
Peut-être n’ai-je pas eu des bonnes rencontres ? ou des bonnes activités ?
Je crois que ce n’est rien de cela. Je crois que j’ai trop senti les énergies d’ici. C’est subtil, léger, caché, presque invisible. Mais quelque chose m’a empêchée de me détendre entièrement ou de me laisser aller à la simple découverte. Ce quelque chose m’a retenue tout le long de mon séjour…
J’ai pourtant eu de belles rencontres. Abdel, féru d’histoire et de culture. Premier pont vers la culture d’ici. Sa femme, un réel cœur sur jambes : nous parlons toutes les deux la même langue, celle du cœur, je le sens au premier regard. Et Pierre, le photographe aussi émerveillé que généreux. Tous les trois me passeront leurs codes, me communiqueront leur passion et m’offriront ce qu’ils ont de meilleur. Aussi, Mohammed, le cuistot qui m’accueille avec coeur. Avec lui, je fais ma première balade dans l’eau et c’est bien. Je me rapproche physiquement de cette culture de la pêche de K.
Qu’est-ce que je retiens de positif des îles K. ? Les palmiers indomptés, sauvages qui poussent partout sur l’île à leur guise. Les couleurs de la mer, les bleus sublimes à marée basse, délavés sur le sable mouillé. Les couleurs roses rouges du couchant. La cuisine délicieuse, fruits de mer en tous sens. L’absence de touristes. L’air pur. L’incroyable présence de l’histoire depuis trois millénaires, dont cette stupéfiante mosaïque romaine balayée par le vent. Le sentiment d’être ailleurs.
Peut-être que si j’avais fait des sorties en mer, mon impression aurait été différente, car la randonnée dans l’eau m’a déjà un peu allégée ce matin…
Peut-être oui, mais quelque chose est là. Une influidité ?
Deux choses, en fait. La nature n’est pas respectée. Et des destins qui viennent ici se briser.
Pollution plastique, tant et tant. Des déchets qui ponctuent tous les paysages. Les palmiers abîmés, tant et tant. Je ne puis y rester insensible.
Et les destins brisés, c’est là le cœur de mon malaise. Je ne l’ai appris que récemment en me renseignant sur les îles K. Elles sont souvent la dernière étape des « migrants« , ces hommes et femmes venus d’Afrique Subsaharienne, avant Lampedusa.
C’est invisible, ou presque et je l’ai senti tout le temps. Il est là, le réel empêchement. La réelle retenue.
Je ne peux concevoir que les quelques kilomètres carrés de cet archipel soient le point final, la dernière impasse de tant d’espoirs, de tant de vies. Le sujet n’est pas tabou sur les îles K. : ceux à qui j’en parle me répondent. Mais je les sens ni concernés ni indignés par le sujet. Exactement comme nous, les Européens, qui acceptons que la Méditerranée soit un tombeau à ciel ouvert, que dis-je, une fosse commune à ciel ouvert. Ni concernés, ni indignés.
Et ce matin, ce n’est plus seulement un mal-être subtil. Le cuistot Mohammed me dit que cette personne qui apparait devant notre table de petit-déjeuner ne vit pas ici et ne veut pas vivre ici. Je comprends dans son mauvais français que c’est un « migrant » dont le bateau a été intercepté et qui aide la police à chercher le passeur. Ils étaient 40 personnes sur ce bateau. Mohammed me dit dans un sourire : « Parfois ils nous demandent si c’est Lampedusa. Nous on dit « c’est Kerkedussa ». Ils ne savent pas où ils sont. »
Ni concernés, ni indignés.
Je regarde le visage du jeune homme noir. Ses traits sont si fins. Il est éthiopien peut-être ? Je ne saurai jamais rien de lui. Je me sens affligée.
Je range mon sentiment pour quelques heures encore, je suis ici en mission professionnelle et je compte l’honorer. Reste heureusement ce carnet pour me déposer quatre heures plus tard.
Je me sens concernée, indignée, affligée. Je vais continuer à donner à la formidable association SOS Méditerranée, continuer à tendre la main dès que je le pourrai, continuer à m’indigner, continuer à crier, avec mes mots, écrire pour écrier ma peine.
Sur la route vers Douz
Je reprends la route. Mes mains brûlent presque depuis que je suis en chemin. Ma paume des pieds et le haut de mon crâne aussi. Je reviens chez moi. C’est fou. Mon corps sait. Mon cœur sait. Mon cerveau écoute, se met à disposition.
Désert du Sahara, près de Douz
Un autre Mohammed, mon guide accompagnateur, chamelier, cuisiner, est déjà ami, s’affaire. Il doit être 17 heures ou 17h30 et je suis en méharée dans le Sahara comme je l’ai tant espéré, rêvé, souhaité depuis des années, depuis toujours peut-être.
Mais avant de me délecter de cet heureux présent, rapide retour sur ces deux derniers jours.
Autant je suis passée à côté des îles K., autant j’ai été agréablement surprise par la ville de Gafsa.
À nouveau je le comprends, je suis plus une fille de la terre que de la mer, ou du moins c’est plus généralement les terres, les montagnes, les campagnes qui me parlent.
Gafsa donc. Surprise de savoir que cette terre est habitée depuis 30 000 ans. Surprise encore que l’agréable médina, surprise parfaite, la visite de Dar Longo, ancienne maison de la médina, siège d’une association de sauvegarde du patrimoine. Son président m’enthousiasme de ses partages.
Je prends ensuite la route pour Douz. Dans la voiture, je sens déjà mes mains chauffer. Le Sahara m’appelle.
Première halte chez mon ami S. Autant il y a deux ans, la connexion était fluide, autant cette année je ne vois que son ego gros comme une maison. Je sais que nous ne reparlerons pas du froid lié à notre dernière conversation. Qu’importe, je m’intéresse à lui, la glace finit par fondre et je passe deux heures plutôt agréables en sa compagnie.
J’arrive ensuite au campement Dune Insolite, tenu par Nayer à Sabria. Le sentiment de revenir à la maison. Le campement est posé au pied des dunes.
L’émotion est immense. J’en pleure. Le sable blanc, fin et doux comme de la farine. De la poudre d’or. Farine, poudre d’étoile. Les dunes à perte de vue. Le soleil qui descend.
J’avance les bras en croix. Je m’agenouille, pieds et mains dans le sable, front lui-même collé au sol. Je reste longtemps ainsi. Je ne suis que gratitude pour cet instant de grâce. Je pleure.
J’envoie ensuite de l’énergie à mon père malade. Je suis tellement heureuse de pouvoir lui envoyer ainsi de l’énergie qui a déjà réussi à le soulage à distance. Gratitude pour cela aussi.
La soirée est joyeuse et agréable. Nous avons de grandes discussions sur le tourisme avec Nayer qui m’accueille, je l’ai quitté en collègue lors de ma première visite ici je le retrouve en ami. Ambiance festive avec les Tunisiens qui sont en vacances au campement. Cavalerie impressionnante, danse, musique, cuisson du pain traditionnel, puis encore de la danse.
La nuit, je ressens les énergies du désert. Un pur bonheur.
Ce matin, je rejoins Mohammed, un autre voyage commence…
Cliquez par ici pour découvrir le (très chouette) campement tenu par mon ami Nayer à Sabria…