En ce mois d’août, je suis partie vivre une petite semaine dans l’Abbaye Sainte-Scholastique de Dourgne dans le Tarn. L’expérience fut époustouflante. Des jours complets de vide, sans aucun projet si ce n’est éventuellement écrire. J’y ai finalement fait des provisions de silence et de prières. J’ai fait aussi provision de cet abbaye, tel un refuge pour les jours difficiles.

À notre époque, on peut facilement penser que c’est folie de s’enfermer dans un cloître, alors qu’on n’a jamais eu autant de moyens de se déplacer ou de communiquer. Je m’en doutais avant, j’en ai maintenant la confirmation absolue : la folie est de l’autre côté de la clôture, dans le vaste « monde »…
Voici les remerciements adressés aux Moniales quand je partais – cela vous donnera une petite idée de l’intensité de mon expérience : « Merci infiniment pour ce havre de paix. Pour ses prières si belles, inlassablement répétées depuis des dizaines d’années. Quel modèle de constance et de persévérance vous êtes. Merci pour votre silence, si rare de nos jours, peut-être le plus grand luxe à mes yeux. Merci de m’avoir soutenue dans mon chemin vers Dieu et Jésus. Merci pour votre bonté, votre générosité et votre gentillesse qui rayonnent de chacun de nos échanges et de ce que je devine de vous. Merci pour votre hospitalité. Merci pour votre humilité et pour votre justesse. Je n’idéalise pas vos vies pour autant, en cinq jours passés ici, je n’ai pas idée de vos quotidiens et je ne peux imaginer les efforts que demande une vie en communauté chaque jour ainsi répétée. Mais de ces efforts, je n’en ai senti aucune lourdeur. »
J’ai écrit deux textes sur place, les voici :
Le voile
Le vent dans un si simple rideau peut-il être un enseignant spirituel ? Le signe de Dieu ? Du souffle de vie ?
Je viens de vivre une expérience profonde en regardant un simple rideau poussé par le vent.
Je suis dans l’Abbaye Sainte-Scholastique depuis exactement 48 heures. None vient de se terminer. J’aime rester dans l’église quand tout le monde est parti et que le silence revient. Faire durer ce que je viens de recevoir, de partager, et que parfois, souvent, je ne comprends pas, mais que je reçois de tout mon cœur et que je laisse agir. Si je le dis avec plus de justesse : je me laisse alors agir par ce que je viens de recevoir.
Quand je fais face au chœur de l’église, le rideau est sur la droite. Il fait office de passage entre deux mondes, celui des profanes, le mien, et celui des sœurs, la trentaine de moniales (28 je crois) qui m’accueillent. Le rideau est d’un fin coton ou peut-être lin, sa couleur est identique à la pierre qui pare l’encadrure, un brun clair, qui se situe entre le ciel d’orage et la teinte de la terre. J’ai déjà vu ce rideau aux précédents offices, j’adore observer l’arrivée et le départ des moniales, regarder leur visage, tantôt tourné vers elles ou vers le monde, tantôt joyeux, tantôt neutre. Hier après Sexte, j’ai vu l’une d’elles comme retenir le rideau pour celle qui la succédait, me rappelant un geste d’enfant jouant.
Après None ce jour, je reste, je n’ai pas compris les textes lus, mais je suis sensible aux voix qui, de tout leur cœur, se rapprochent du Seigneur. Je me laisse agir par ce moment partagé. Je regarde les moniales partir et mes yeux captent les mouvements du rideau. Il vole avec le vent, une envolée très douce par courants d’air réguliers. Une danse d’une incroyable grâce. Il semble flotter plus longtemps du côté des profanes. Et le voile se fait alors synonyme de tant de choses.
La séparation entre le sacré et le profane, entre leur monde et le nôtre. Entre ce qu’aurait pu être ma vie si j’avais écouté cette intuition de petite fille « je veux être Bonne-Sœur, comme ça je n’aurais pas besoin de mari » – réel appel de Dieu non-entendu, ou lubie passagère ? J’ai classé cet épisode dans la seconde catégorie les rares fois où j’y ai repensé, mais cette idée me revient avec insistance ces dernières heures. La séparation entre ce qu’aurait pu être ma vie et ce qu’elle est. La séparation entre mon incessante quête d’entièreté, d’absolu, de Dieu, et ma vie ordinaire, séparation que j’essaie de faire de plus en plus ténue.
Ce voile se fait synonyme de mon illusion, mes illusions qui ont tant fondu ces dernières années, le voile est tombé, le voile des illusions dans lesquelles je m’étais drapée est tombé. En apprenant les tromperies et mensonges de mon ex-mari, je suis sorti de la matrice comme je le répète souvent, comme si un voile était déchu de mon regard et m’avait permis de reconsidérer toute ma vie dans son ensemble d’un coup. Et voilà ce voile qui danse au gré du vent sous mes yeux, entre le sacré et le profane, avec une densité qui m’émeut tant.
Ce voile qui est une réelle séparation entre leur monde et le mien et attise ma curiosité. Il est plus serré d’un côté que de l’autre. Derrière, un petit vestibule ; à droite, des escaliers mènent à un étage supérieur ; à gauche, un couloir ; dans la prolongation de la porte, derrière ce voile, une autre porte, fermée de moitié par un pan de porte pas totalement opaque, mène au cloître. La majorité des moniales s’y rend après les offices. Je devine une cour. Cet espace est lumineux et apporte un peu de sa lumière sur ce petit vestibule et jusqu’à cette partie de l’église où vole ce voile. Je ressens une immense curiosité pour ce monde clos. Moi qui ne suis que voyage et libres déplacements, suis-je plus libre que ces moniales ? Elles ont choisi la radicalité de la liberté intérieure. Suivre Dieu et ne plus suivre la folie des hommes. N’est-ce pas la plus grande liberté et ce qui m’attire dans ce monde ?
Le voile continue ses grâcieuses envolées. Je suis émue aux larmes. Je ressens entièrement le moment. Des phrases éclosent déjà dans ma tête, je sais que je serai inspirée pour écrire dans quelques instants. Je me laisse absorber par ces envolées du voile. Bien d’autres émotions, ressentis ou état d’être se meuvent en moi sans pouvoir être nommés. Je pleure à chaudes larmes maintenant.
L’église sonne. Une moniale vient apprêter l’espace pour le prochain office. Je laisse quelques larmes couler encore et file loin du sacré. Ma page me permettra-t-elle au moins de consigner un peu de ces envolées pleines de grâce.

Abbatial silence…
Extraordinaire silence, après l’office de None dans l’église de l’Abbaye Sainte-Scholastique… C’est mon troisième jour ici. Je reste plus de 45 minutes à profiter pleinement de ce silence.
Silence épaisseur
Silence, mes sens aux aguets
Silence, si beau silence
Rarement suspendu
Par le vent bruissant dans les arbres du cloître, plus loin
Par les semelles sous les pas des moniales sur les froids carrelages
Par une porte qui claque, par une plainte qui craque parfois dans le cloître
Par les rares pensées qui osent pointer en moi, aussitôt désertées
Silence comme si rarement goûté
Bénéfique silence
Silence fécond
Silence apaisant
Précurseur silence
Silence initial
Silence initiatique
Silence divin
Merveilleux silence
Merveille au silence
Merveille Ô Silence
Puissant silence
Source de toute vie
Silence tant espéré
Silence qu’aucun de mes sens n’ose briser
Silence grâce
Silence apprivoisé
Silence approvisionné
Plein silence, pleine présence
Silence in et silence out
Silence en moi
Silence autour de moi
Silence unité
Silence retrouvé
Si lent silence
Si lent lancinant silence
Silence
Silence désencombré de moi-même
Vide en moi
Enfin
Dieu en moi

Merci Aurélie pour cette parenthèse
Je retiens le nom de l’Abbaye car je fais régulièrement des séjours dans l’une ou l’autre (Lourdes, etc.),c’est un besoin vital pour moi ! Et même si je suis déjà dans le silence (sourde), la connexion se fait différemment mais elle y est. Et déconnecter parfois de ce monde de chaos est nécessaire et fait du bien.
À bientôt pour une autre parenthèse
Brigitte