Un Voyage en Asie* Cambodge, S-21 ou dire l’indicible
Sep 30, 2011 CambodgeVoyaaages ! 9

Je visite le centre S-21.

Comment dire l’indicible?

Avant tout le lieu: aujourd’hui à mi-chemin entre un musée et un mémorial, c’est finalement ni l’un ni l’autre. Pas assez explicite pour être un musée, pas assez bien conservé pour être un mémorial. Le lieu a été nettoyé, mais pas entièrement. La pelouse est belle, les arbres en fleurs, et les instruments de torture sont encore là.

Car il est question ici d’un ancien lycée qui a été transformé par les Khmers rouges en centre de détention, de torture et d’exécution entre 1975 et 1979. Le lycée avait alors comme nom secret prison de Sécurité 21 ou S-21. Les Khmers rouges enfermaient ici tous les opposants supposés au régime, sur n’importe quel motif. Les personnes enfermées étaient aussi bien des jeunes que des personnes plus âgées. Il y avait des femmes, des enfants, et parfois des familles entières (bébés y compris) d’ouvriers, d’intellectuels, de ministres et de diplomates cambodgiens, mais aussi des étrangers. Le simple fait de porter des lunettes (y compris pour les enfants) était suffisant pour être considéré comme intellectuel et donc « à exterminer ».

La page wikipédia dédiée vous en dira plus sur cet endroit.

Je ne souhaite partager ici que mes émotions, notées à vif et à peine retravaillées depuis…

Des photos, beaucoup. De (tous?) les détenus passés par là, répertoriés, minutieusement. Leurs grands yeux me hantent. Pour longtemps encore. Surprise, effroi, fatigue. Souffrance déjà pour certains. Arrivés ici par surprise, beaucoup ne savaient pas ce qui les attendaient. Certains sourient même sur ces preuves du décompte administratif de l’horreur.

Et les photos de l’horreur justement. Notamment deux, où l’on voit les prisonniers au crâne défoncé. Au delà de l’horreur. Au delà de ce qui peut être dit, et peut-être vu.

Puis les témoignages de trois des sept survivants.
Et les peintures qui illustrent plus d’horreur encore.

20.000 victimes. Un staff de 1.684 personnes. Où sont-ils ces barbares? Ces inhumains qu’une idéologie malsaine a permis de lâcher leur pire bestialité… Sont-ils dans les rues de Phnom Penh? Sont-ils déjà morts au fond d’un lit confortable? Comment peut-on aujourd’hui encore accepter tant d’injustice au nom de l’unité nationale? Les proches des victimes ou les survivants eux-mêmes ne recroisent-ils pas ces bourreaux? Et notre humanité toute entière, comment vit-elle avec cela? Quand on sait que cela se produit encore aujourd’hui dans des provinces qui n’intéressent personne?

Des questions, pas de réponse.

Et comment reprendre une vie normale, une fois la porte de ce « musée » dépassée? On referme ces souvenirs pas si lointains, on les coince derrière les excuses de l’éloignement, de la différence de culture, et on continue à vivre? On bien on rouvre les yeux, sur ces images, on pleure et on se sent révoltés, impuissants, imbéciles?

Je vous conseille deux lectures, qui pourront vous aider à comprendre mieux ces lignes et surtout le drame de ce pays. Je vous en parlerai peut-être un jour plus en détails, peut-être pas. Ces deux livres aident à comprendre l’horreur incarnée, dans deux styles différents, et qui se complètent et sont précieux.

D’abord ils ont tué mon père, où Ung Loung témoigne de son expérience de petite fille pendant ce drame, et Le Portail, de François Bizot où il décrit Duch au début des années 1970, avant qu’il ne devienne dirigeant de Tuol Sleng.

Acheter en ligne: D’abord ils ont tué mon père & Le Portail.

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9 comments on “Un Voyage en Asie* Cambodge, S-21 ou dire l’indicible

  1. Punaise, je décerne la palme d’or de l’indélicatesse doublée du diplôme du gros boulet au commentaire qui précède le mien. Je ne vais pas aller plus loin afin de rester poli.

    Bref. Le plus terrible dans cette histoire de S-21, c’est que tout le monde sait où, et qui sont ceux qui ont été les bourreaux. Des membres de ma propre famille sont partis faire un tour dans ce centre ; certains n’en sont jamais revenus, et ceux qui ont survécu … Ont « souvent » (trois, quatre fois) croisé des anciens bourreaux, qu’ils ont reconnu dans la rue. Phnom Penh, c’est très petit.

    Mais ils ne font rien. Ils n’ont même pas de colère, ni même de rancoeur. Ce n’est pas un pardon. Ce n’est pas une faiblesse. Juste l’envie de ne pas se rappeler, de ne regarder que le présent et le futur. Parce que le passé fait tellement mal qu’on préfère en faire table rase, quitte à laisser les coupables dans la nature. Ca doit être assez difficile à concevoir pour des Occidentaux et des Européens, qui cherchent en permanence à faire un « devoir de mémoire » et/ou à vouloir rendre justice à tout prix.

  2. @ Chris: merci pour ce témoignage.
    C’est en effet une situation vraiment inconcevable pour moi (et je pense pour pas mal d’Occidentaux en effet): savoir que de tels bourreaux sont dans la nature. Je n’arrive pas à m’imaginer comment on peut accepter telle injustice (et le mot me semble faible face à cette réalité).
    Et toi, personnellement n’as-tu pas eu envie de faire avancer ce devoir de mémoire? (si c’est trop indiscret, ne te sens pas obligée de me répondre…)

  3. Ye Lili, je te crois quand tu dis que les grands yeux des détenus te hantent toujours. Bien que j’ai visité les lieux il y a une douzaine d’années, je garde un souvenir hélas très frais de certaines images et peintures. Je peux néanmoins comprendre ce que Chris veut dire. Quand l’horreur dépasse l’entendement, le concept même de justice n’a peut-être plus beaucoup de sens. Au-delà du sort à réserver aux bourreaux, ce qui m’épate c’est comment arrive-t-on à se relever et à (sur)vivre après tant d’atrocité!

  4. Il y a (pour l’instant) 2 endroits qui m’ont marqué dans ce voyage, marqué dans le mauvais sens, mais marqué au fer rouge, comment l’homme peut être aussi « inhumain » ? Le S21 fait parti de ces endroits qui reste en mémoire, mais pas pour les bonnes raisons (le second est Hiroshima).

    Je me permets de rajouter « J’ai cru aux Khmers Rouges » de Ong Thong Hœung à ta liste, un témoignage, saisissant et qui fait froid dans le dos…

  5. @ Michela: je pense en effet que c’est l’instinct de survie qui se met en place, et que l’humanité sera toujours plus forte que tous les bourreaux du monde. Pour comprendre comment on peut se relever, je pense que la littérature juive post Seconde Guerre Mondiale peut aider…

    @ Sandro: je pense que S-21 m’a aussi marqué pour une durée indéterminée… Je n’ai pas lu le livre dont tu parles, merci pour cette référence.

  6. J’ai redouté de lire ce post et l’ai contourné ces derniers jours pour y revenir aujourd’hui. Fébrilement. Respectueusement. Je l’ai terminé. J’en tremble.

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