Petite bibliographie sélective d’une grande littérature haïtienne (début!)
Nov 28, 2017 ArtHaiti 5

Quand Haïti fait la une des médias, c’est le plus souvent pour ses catastrophes naturelles. Pourtant cette demi-île des Caraïbes possède une incroyable richesse méconnue par chez nous : sa littérature. Laissez-moi vous guider à la rencontre de quelques superbes morceaux choisis de cette si belle littérature haïtienne.

Dany Laferrière et son « cycle haïtien »

Comment ne pas commencer par cet Immortel ? C’est lui qui m’a donné le virus haïtien, il y a quelques années de cela. Je vous en parlais en ces colonnes, par ici précisément. Mais je ne vous ai jamais parlé de trois de ses livres à lire absolument pour mieux connaître le Haïti des années 1960/70. L’Odeur du café, Le Charme des après-midi sans fin et Le Cri des oiseaux fous font tout trois partie de la dizaine de romans composant le cycle haïtien de l’Académicien. Ils ont été écrits à Montréal dans les années 1990 et relatent l’enfance de Dany Laferrière en Haïti.
L’Odeur du café et Le Charme des après-midi sans fin évoquent ses années à Petit-Goâve, auprès de Da, sa grand-mère adorée. De courts chapitres racontent le quotidien de « Vieux-os », comme le nomme Da: regard d’un enfant sur le monde des adultes, histoire d’amitiés et d’amour aussi – pour la belle Vava… C’est tout en finesse et en poésie que j’ai par ces pages découvert Haïti. Et je ne peux que vous inviter à faire de même !
Si jamais ça vous avez échappé, j’ai d’ailleurs eu la grande chance de marcher dans les traces de Dany Laferrière lors de mon passage à Petit-Goâve – la photo en tête d’article est la maison de Da…
Le Cri des oiseaux fous relate la dernière nuit de Dany Laferrière à Port au Prince. L’auteur-narrateur a grandi : jeune journaliste, son meilleur ami vient de se faire assassiner et il sait qu’il est le prochain sur la liste. Il doit quitter sa ville et son pays dans le plus grand secret. Le Cri des oiseaux fous raconte cette ultime nuit haïtienne à travers les pensées, peurs et méditations de l’auteur…
D’autres livres de Dany Lafferière composent ce cycle haïtien, mais je ne les ai pas encore lus, à suivre !

Haïti aujourd’hui avec Lyonel Trouillot

Lyonel Trouillot est un auteur vivant aujourd’hui encore à Port-au-Prince. Je n’en avais jamais entendu parler jusqu’à il y a peu de temps, c’est pourtant un auteur incontournable pour comprendre le Haïti d’aujourd’hui.
Du coup je me suis rattrapée et j’ai lu cinq de ses romans à mon retour d’Haïti… Je les ai tous aimés ! Ils donnent des clés inouïes pour comprendre la vie des Haïtiens et des habitants de Port-au-Prince. Malgré des récits souvent durs, une grande humanité se dégage de ces romans, le tout avec un style très poétique…
En voici les résumés…

Bicentenaire – Port-au-Prince, début 2004 – année du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti. Un jeune homme, Lucien, quitte à pied les quartiers pauvres pour rejoindre la manifestation organisée en ville par les étudiants. Le roman est le récit de sa journée – de sa descente vers la ville, au petit matin, jusqu’à l’ultime charge de la police lors de laquelle la mort va le surprendre… Au fil de sa marche, les voix aimées et irréconciliables résonnent dans sa tête : celle de sa mère, vieille paysanne “exilée” dans sa province reculée ; celle de son frère cadet qui a mal tourné au contact de la ville ; celle de “l’Etrangère”, la femme que Lucien aime sans vraiment la connaître, une journaliste avec qui il a sympathisé un soir ; les voix, enfin, de ses camarades étudiants ou de voisins. Dédié à “celles et ceux qui sont descendus dans la rue” en Haïti en 2003-2004, ce bref roman est né de la nécessité de rendre compte d’un drame dont l’auteur a éprouvé la violence.

Yanvalou pour Charlie – Jeune avocat d’affaires dévoré d’ambition, Mathurin D. Saint-Fort a voulu oublier ses origines pour se tenir désormais du meilleur côté possible de l’existence. Jusqu’au jour où fait irruption dans sa vie Charlie, un adolescent en cavale après une tentative de braquage, qui vient demander son aide au nom des attachements à leur même village natal. Débusqué, contraint de renouer avec le dehors, avec la douleur du souvenir et la misère d’autrui, l’élégant Mathurin D. embarque, malgré lui, pour une aventure solidaire qui lui fait re-traverser les cercles de la pauvreté, de la délinquance, de la révolte ou de la haine envers tout ce que lui-même incarne.

La Belle Amour humaine – A bord de la voiture de Thomas, son guide, une jeune occidentale, Anaïse, se dirige vers un petit village côtier d’Haïti où elle espère retrouver les traces d’un père qu’elle a à peine connu et éclaircir l’énigme qui fonde son roman familial. Le caractère particulier de ce voyage encourage Thomas à prévenir la jeune femme qu’il lui faudra probablement renoncer à une telle enquête.
Dans ce roman qui prône un exercice inédit de la justice et une fraternité sensible entre les hommes sous l’égide de la question : “Quel usage faut-il faire de sa présence au monde ?”, Lyonel Trouillot interroge le hasard des destinées qui vous font naître blanc ou noir, puissant ou misérable, ici ou ailleurs – au Nord ou au Sud.

Parabole du failli – Alors qu’il semble enfin devoir connaître le succès, Pedro, un jeune comédien haïtien en tournée à l’étranger, se jette du douzième étage d’un immeuble. Dans son pays natal, l’un des deux amis avec lesquels il partageait au hasard des nuits un modeste appartement tente alors, entre colère et amour, de comprendre les raisons de ce geste, au fil d’une virulente adresse au disparu. Un homme est tombé : dans l’abîme que crée sa disparition s’inscrit l’échec du suicidé mais aussi de celui qui reste, avec sa douleur et ses discours impuissants.
À travers ce portrait d’un homme que le terrifiant mélange du social et de l’intime a, de l’enfance au plongeon dans le vide, transformé en plaie ouverte au point de le contraindre, pour être lui-même, à devenir tous les autres sur la scène comme dans la vie, Lyonel Trouillot, dans cette bouleversante “chanson du mal-aimé”, rend hommage à l’humanité du désespoir, à l’échec des mots qui voudraient le dire mais qui ne parviennent jamais à combler la faille qui sépare la lettre de la réalité de la vie.

Kannjawou – Cinq jeunes gens rêvent en vain d’avenir dans le misérable quartier de la rue de l’Enterrement, proche du grand cimetière où même les morts doivent lutter pour se trouver une place. Confrontés à la violence des rapports sociaux et aux dégâts causés par des décennies d’occupation militaro-humanitaire, ils n’ont pour viatique que le fantasme d’improbables révolutions, les enseignements du “petit professeur” et de sa vaste bibliothèque, ou les injonctions de man Jeanne, allègrement bafouées par les nantis et les représentants interchangeables des ONG planétaires. Ces derniers aiment s’encanailler au “Kannjawou”, un bar local aussi pittoresque qu’authentique aux yeux de visiteurs décomplexés et surentraînés à détourner résolument le regard de l’enfer ordinaire que vit un peuple simplement occupé à ne pas mourir. Dans la culture populaire d’Haïti, le mot kannjawou désigne, à l’origine, la fête, le partage. Mais à quelles réjouissances songer quand la souffrance, qui fait vieillir trop vite, accule à la résignation jusqu’à détruire la solidarité des communautés premières ?

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Cette bibliographie sera complétée très prochainement avec des livres de René Depestre, Louis-Philippe Dalembert et Laurent Gaudé…

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5 comments on “Petite bibliographie sélective d’une grande littérature haïtienne (début!)

  1. Gary Victor, sans doute le plus lu des écrivains haïtiens contemporains ; surtout du polar vaudou, mais plus récemment de très beaux romans de littérature plus générale. Le premier roman de James Noël « Belle merveille », très bien, chez Zulma, qui assure décidément bien la promotion de la littérature Haïtienne. Le dernier roman de Dalembert est sans doute, du point de vue de l’histoire littéraire d’Haïti, un pivot important. Quand à Laurent Gaudé, il n’est pas haïtien et le fait d’avoir commis un livre sur Haïti (livre respectable ceci dit) ne le place pas vraiment dans cet article de mon point de vue…

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