Dans les usines de Chine
Nov 24, 2010 La Chine au quotidien 12

Lors de mes derniers déplacements professionnels, j’ai eu l’occasion de me rendre dans des usines textiles, et de saisir un peu mieux ce qui se cache derrière le si fameux Made in China. Je vous propose aujourd’hui un retour sur ma modeste expérience qui pourra peut-être vous aider à saisir un peu mieux la situation…

Les usines chinoises sont un sujet très sensible qui touche à de nombreux aspects de la globalisation, de nos modes de consommations, du fonctionnement de toutes nos sociétés. Le dernier hors-série du Courrier International sur la Chine propose, entre autres, une étude pertinente expliquant que la Chine est le pays de production industrielle le plus intéressant car le moins demandeur au niveau social. Ici pas de syndicat, pas de parti politique pour soutenir la base du peuple, et les Chinois ont la réputation de bien endurer.
Cela restant assez théorique, je vais témoigner de ce que j’ai vu ou entendu récemment, directement ou sans autre intermédiaire qu’un collaborateur direct.

En 2008, à moins de 5 heures de route de Shanghai, saviez-vous qu’un salaire de base d’un ouvrier dans une entreprise de meubles (à destination du marché français) était de moins de 50€ par mois? En ce mois de novembre 2010, j’ai vu des ouvrières textiles qui gagnent moins de 100€ par mois à Tianjin, une des cinq plus grandes villes de Chine. Ce salaire de base autour d’une centaine d’euros est la norme pour la plupart des ouvriers en Chine.
Qu’entend-on par salaire de base ? C’est le salaire de tout ouvrier travaillant à temps complet, soit 8 heures par jour, 6 jours sur 7, sans aucune assurance, ni santé, ni retraite. Ces salaires sont fixés par le gouvernement de chaque région, ils varient donc d’un endroit à l’autre de la Chine. Il leur est bien sûr possible, voire vivement conseillé, de faire des heures supplémentaires, et les salaires doublent alors, voire triplent, les ouvriers travaillant au bas mot 12 heures par jour, sans repos hebdomadaire. C’est tout simplement révoltant, surtout quand on connait l’inflation galopante en Chine, le niveau de vie, qui bien que beaucoup plus bas qu’en France pour la plupart des villes de Chine, ne permet pas de vivre décemment avec moins de 100€ ou même 200€ par mois.

Notre part de responsabilité est énorme. Je vous inclus cher lecteur, car s’il est plus facile de se sentir responsable en travaillant ici, que celui qui n’a jamais porté ou utilisé une chose faite en Chine me jette la première pierre… Nous sommes responsables en voulant toujours consommer moins cher, quitte à fermer les yeux sur cette misère sociale. Nous sommes responsables en laissant le tissu industriel de nos villes se volatiliser. Nous sommes responsables par nos modes de consommations où nous avons besoin de toujours plus d’avoir pour être.
Je n’ai aucune solution pour parer à ce triste constat, je ne me sens pas la force nécessaire pour lancer une révolution internationale…

Et puis aussi, j’ai récemment reçu le témoignage d’une Chinoise me racontant son histoire et qui m’a fait comprendre, qu’une fois de plus, rien n’est tout noir ou tout blanc dans ce bas monde.
Li est originaire d’un petit village du Zhejiang à une dizaine d’heures de route de Shanghai. Ses parents étaient paysans et elle a grandi à la campagne. Elle a reçu là-bas une mauvaise éducation mais menait une vie simple et heureuse. Ses parents ont eu un accident de vie et ont du emprunter une somme importante à leurs proches – 500€, plusieurs années de revenus pour des paysans dans les années 1990. Aucun moyen de rembourser cette somme, si ce n’était de partir dans la ville voisine la plus proche, Taizhou. Ils sont devenus paysans-ouvriers, comme il y a en tant dans ces usines. Les parents de Li lui ont permis d’étudier dans cette ville plus importante – au prix d’énormes sacrifices, l’année universitaire coutant autour d’un an de salaire pour un ouvrier, 1.000€ – et elle y a étudié l’anglais. Dans son premier emploi à Taizhou, elle a rencontré un Allemand qui l’a formée aux méthodes de travail occidentales, et qui lui a permis deux ans plus tard de venir travailler à Shanghai. Elle a aujourd’hui un travail à responsabilités, peut faire des choix dans sa vie et aide sa famille financièrement.
Je ne dis pas que le travail de ses parents en usine a été une bénédiction, mais il a permis un changement dans sa famille, et elle a pu recevoir une éducation et être libre de faire des choix…
Pour relativiser encore, lors de mes passages en usine, j’ai vu plus de visages ouverts, souriants et se racontant des blagues, que de visages fermés…

Je me sens totalement désarmée et sans solution quand je réfléchis aux conditions de travail en Chine. L’exemple de Li, au milieu de tant d’autres, me montre aussi les extraordinaires ressources des Chinois. Mais quand je pense que tout le commerce international est basé sur l’exploitation de cette classe sans voix, je ne ressens que colère et injustice…
Le sujet est lancé, n’hésitez pas à apporter vos avis, tant qu’ils restent respectueux et constructifs !

Au plaisir de vous lire à ce propos !

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12 comments on “Dans les usines de Chine

  1. Un petit regard de France… Alors voila, on connaît bien sûr cet état de fait, on se dit que c’est injuste, on est conscient qu’on peut verser notre goutte dans l’océan pour améliorer les choses. En même temps, le problème semble loin de nous et quasi insoluble. Mais pire que de ne pas réussir à le résoudre, il y a de ne pas essayer. Alors je fais partie d’un groupe de personnes qui partagent un même point de vue sur ce sujet, qui vise à être cohérent en actes avec nos pensées. On boycotte quand on le peut les produits « Made in China », on favorise les produits français, on essaie de limiter la casse. Mais ce n’est pas impossible que mes bonnes résolutions s’effondrent par moment, parce que curieusement, ça nous demande un effort, à nous autres, e: bien regarder les étiquettes, financier aussi, et puis chercher certains produits « Made in France » peut courants alors que le « Made in China » est partout, oui, parfois, ce n’est pas simple. Mais on essaie….

  2. « Le dernier hors-série du Courrier International sur la Chine propose, entre autres, une étude pertinente expliquant que la Chine est le pays de production industrielle le plus intéressant car le moins demandeur au niveau social.  »
    Ca me paraît un peu court au niveau raison, ne pourrait-on pas ajouter que par rapport à d’autres pays comme le Vietnam et du Sud-est asiatique, la Chine dispose de meilleures infrastructures,d’ un système bancaire plus efficace, une plus grande capacité de production, sans oublier dans certains secteurs, comme le textile, de filières pratiquement intégrées, etc…? Le commerce a besoin aussi d’efficacité, la Chine ne présente plus les meilleurs prix de revient partout. Certes, les autres pays ont montré de grandes amélioration ces dernières années.
    « Notre part de responsabilité est énorme » Business, consommation, profit telles sont les locomotives de ce monde et tout le monde court après, il y a une grande harmonie dans ce monde, chacun joue son rôle, c’est clair…
    Par ailleurs, si on en croit certains chercheurs chinois, c’est une politique délibérée qui avait été choisi dès le début des années 80 avec une économie centrée sur l’export, il fallait des salaires bas pour rester compétitifs.
    On peut ajouter aussi que ce sont les grands distributeurs étrangers qui font le plus de marges et non pas les usines ( j’en connais qui ne veulent pas travailler pour les grandes enseignes car gros Ca et très faible bénéfice), j’avais lu dans diverses études que par exemple avec l’annulation des quotas textiles en 2003 ou 2004, des distributeurs tels H&M avaient eu un bon de leurs bénéfices car ils pouvaient produire davantage en Chine et donc faire baisser le prix de revient.

  3. Merci Xavier pour ce complément d’info.
    Je suis loin d’être exhaustive dans cet article, c’est plus un ressenti de l’intérieur.
    Je suis d’accord avec votre analyse: la Chine n’attire pas seulement car ses prix sont bas, je n’ai écrit qu’une phrase, mais renvoyé vers le magazine pour ne pas m’aventurer plus que ça sur ce complexe sujet.

    Pour les relations usines/entreprises étrangères, c’est encore un autre vaste sujet. Mes fournisseurs me disent par exemple préférer travailler avec les étrangers car ils ont plus de chance d’être payés qu’avec de nouvelles entreprises chinoises, mais ce que vous dites reflète une autre réalité…

  4. C’est clair que dans ce pays où la confiance règne – ironie- la parano des Chinois envers les Chinois est assez forte et qu’il faut être plus que prudent.
    J’ai été quand même assez étonné pendant 6 ans, 2003-2008, aucun de mes clients chinois ne m’a fait un défaut de paiement. Quand je voyageais à l’étranger, tout le monde me parlait des arnaques chinoises, je ne les ai pas rencontrées dans la partie professionnelle, dans le quotidien, c’est autre chose.
    J’avais travaillé en 2002 en Italie, la société pour laquelle je bossais à l’époque se faisait planter méchamment une fois par an et il était assez dur de récupérer les paiements auprès d’une partie de la centaine de clients notamment dans la région de Naples…

    « Mes fournisseurs me disent  »
    Le discours peut être différent selon l’interlocuteur, on ne dira pas forcément la même chose à un fournisseur étranger ou chinois , à un client étranger ou chinois,etc… On nous dira souvent ce qu’on aime entendre. On aime souvent embellir l’autre en Chine, me disait ma première prof de chinois.

  5. J’ai beaucoup aimé cet article, car il pèse le pour et le contre, et rare sont les gens qui le font. Depuis que j’ai mis un pied en Chine, je n’accepte pas qu’on voit la Chine sous ses seuls aspects négatifs.
    D’ailleurs, @MaryB, je comprends cette position du « boycott du Made in China », mais pas celle de considérer que tout ce qui est fait en Chine est mauvais et de basse qualité. Comme le dit l’article, « nous », les pays étrangers qui achètent chinois, sommes responsables du niveau de qualité que produit la Chine. C’est le message que nous avons illustré chez Rions Cantonais dans l’article « Le made in China, une histoire de pantoufles » (https://rionscantonais.wordpress.com/2011/12/13/le-made-in-china-une-affaire-de-pantoufles/). C’est triste de voir que ce pays est coincé dans un rôle de sous traitant cheap, car bien qu’elle l’ait sans doute choisi stratégiquement dans les années 80, elle le paye aujourd’hui à travers cette étiquette « achète chinois achète 2 fois » qui lui colle à la peau tandis qu’elle est capable de grandes choses.

  6. Je ne connaissais pas cette expression « achète chinois achète 2 fois »… bien trouvé. Après je pense que c’est au delà de la Chine, toute nos sociétés qui vont dans le sens du cheap et du zapping…
    Heureuse que mon ton t’ait plus 🙂

  7. Poser un regard culpabilisant n’est pas simple, de plus il faut en
    avoir les moyens. Alors que des personnes sont exploitées à un
    point de la planète d’autres sont trompés sur la valeur réelle de la marchandise achetée. Ce qui est surtout critiquable c’est le
    système mis en place qui permet de faire fabriquer un produit
    10€ à un endroit de la planète et de pouvoir le revendre 10 fois
    plus cher à un autre bout de la planète sans frais supplémentaire. Somme nous plus heureux lorsque nous choisissons notre
    alors que nous ne savons pas dans quelle poche nous mettons l’argent de notre achat ?
    Ceci dit je trouve le sujet bien écrit et rempli d’honnêteté d’esprit.

  8. Mille excuses l’avant dernière phrase est mal passée.

    Sommes nous plus heureux lorsque nous choisissons notre made in alors que nous ne savons pas dans quelle poche nous mettons l’argent de notre achat ?

  9. @ Pierre 5902: Déjà, s’il y a une prise de conscience et une interrogation, je trouve que c’est déjà un premier pas…
    Et ensuite, il faut regarder les étiquettes et essayer d’avoir une consommation responsable… pas toujours simple, mais on peut au moins essayer !

  10. Dans les années 70 le made in japan était décrié dans les
    discutions de familles ou de comptoirs pourtant les chaines HIFI
    et les motos japonaises avaient la cote. Je préférai ma petite 125
    honda à une horrible motobécane. Entre copains nous nous
    moquions de ceux qui achetaient les automobiles Mazda.
    ils entendaient souvent : elle marche bien ta pile. Ce n’est que
    bien des années plus tard que j’ai appris via un article de
    magazine qu’il existait des décès par excès de travail au Japon.
    De même que si l’achat par internet permet de comparer il n’est
    pas toujours indiqué l’origine de fabrication. Par contre il est vrai
    que lorsque je désire acheter un souvenir de voyage si je
    constate que l’origine de fabrication n’est pas locale je
    m’abstiens. Même si en tant que consommateur je suis
    responsable j’avoue que je me méfie plus de celui qui vend plutôt
    que de celui qui fabrique. bien que sensibilisé je ne connais pas
    les leviers qui pourraient influer sur ce système. C’est tellement
    complexe.
    Sur ce bonnes Fêtes de fin d’années.

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