Une journée sur un (vrai) bateau de pêche majorquin…
Juin 01, 2018 Espagne 4

– Mise à jour de juin 2018 – 
Je suis plus sédentaire que de coutume, alors je partage quelques uns de mes « vieux » articles, concernant quelques-uns de mes (très très nombreux) voyages déjà partagés ici.
On se jette à l’eau et on repart sur un bateau de pêche ?

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J’aurais pu intituler cet article « Comment j’ai passé la journée dans la peau d’un pêcheur et comment j’ai vécu le pire mal de mer de mon existence sans en être attristée »… Laissez moi vous raconter cette journée unique et mémorable…

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La scène se passe sur l’Île de Majorque.
Mon réveil sonne à 3h20 du matin, un des réveils les plus matinaux de ma vie. Nous quittons l’hôtel à 3h45 et arrivons à 4h45 sur notre bateau, amarré au port d’Andratx.

Le départ se passe en douceur, dans une agréable fin de nuit d’encre. Le bateau d’un jour qui nous accueille, mes trois collègues marins d’un jour et moi-même, se nomme le Paraguay. Avec ses 25 mètres de long, c’est un « gambera », mot à mot un crevettier, un chalut. Les quatre marins pêcheurs du Paraguay, le capitaine Bruno, son frère Gori, José et Francesquet, sont nos hôtes. Les marins nous accueillent de grandes accolades et nous claquent une bise chaleureuse, comme s’ils recevaient des amis. Nous nous installons dans la cabine supérieure, sur le siège du capitaine.

Très vite le bateau se met à tanguer. Je ne le sais pas encore mais il tanguera pour la majeure partie de la journée… j’essaie de prendre mes repères. La nuit est noire et les écrans de pilotage m’hypnotisent assez pour tenir loin de moi un début de mal de mer.

Une petite demie heure après notre départ, le filet s’apprête à être lâché, Gori nous convie sur le pont. Les filets sont immenses, les câbles qui les tiennent semblent sans fin. Le bateau tangue. Je suis venue voir le spectacle d’un pas plein d’entrain. Un pas trop plein d’entrain : mon premier mal de mer monte ici.
Vite, une fois les filets lâchés, je reprends ma position dans la cabine supérieure et cherche quelque chose à fixer au loin. Je reste longuement accoudée à la fenêtre de la cabine, à fixer le fin croissant d’une lumineuse lune… Je somnole un peu.
Bientôt l’aube est à l’approche. Je guette le lever de soleil, tout en me concentrant sur ma respiration. Me laisser porter par les flots, ne pas lutter, laisser passer les nausées quand la houle est trop forte… J’apprendrai à la fin de la journée que la mer a été mauvaise comme elle l’est seulement 15 jours par an.

Je me déplace à nouveau un peu trop vite pour aller me soulager, au pont inférieur. Ces pas me sont fatals et je le comprends alors : en cas de mal de mer, il me faut me mouvoir le plus lentement possible…

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Je passe le reste de la journée tempo piano. Mon pied et mon ventre se font peu à peu marins… J’ai alors l’occasion d’observer la vie de nos hôtes d’un jour et de discuter avec eux, autant que mon espagnol balbutiant me le permet, mes collègues hispanophones étant totalement malades.

Les journées travail de Gori, Bruno et leurs collègues commencent chaque matin à 4h45, alors que le port est situé à une heure de route de chez eux. Ils passeront douze heures sur le pont, et ces heures seront principalement occupées à tenir le cap, à tirer des filets, à entretenir le bateau et à trier les poissons… Douze heures à se relayer pour une attention permanente…

Le capitaine Bruno est pêcheur depuis plus de trente ans, comme l’étaient son père et son grand-père.

Ton travail te plait ?
– C’est un travail très difficile…
– Tu aimerais changer ?
– Pour quoi faire ? je n’ai pas fait d’études et je ne peux pas changer à mon âge.

J’observe ces marins qui nous ont adoptés. Je sens une grande solidarité entre eux, une douceur dans leur regard.
Nous sommes les tout premiers voyageurs qu’ils accueillent à bord et ils sont plein d’attention à notre égard. Ils s’enquièrent sans cesse de notre état de santé, nous servent à boire, nous installent le mieux possible dans les conditions de confort sommaire qui sont leur quotidien…

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La remontée des filets est un des moments forts de la journée. A l’arrêt le bateau tangue plus encore. Curieuse sensation que de voir l’horizon bouger de 90° en une seconde… Les câbles sont tirés dans un long tintamarre. Il faut guider les câbles de fer puis les lourds cordages lors de cette remontée pour éviter qu’ils s’emmêlent. Bientôt le filet est à l’air.
La pêche arrive enfin. Des crevettes avant tout et des poissons en moindre nombre. « Peut-être 25 kilogrammes de crevettes ». Les mines ne sont pas très réjouies, il y a des jours meilleurs. En hiver, le Paraguay pêche une trentaine de kilos par jour, en été, cela peut atteindre 100 kilos. Les crevettes sont revendues le soir même à la criée entre 25 et 70€ le kilo en fonction de leur taille…

La pêche est triée et nettoyée directement à même le pont dès qu’elle est sortie de l’eau : les poissons d’un côté, les crabes de l’autre, les crevettes selon leur taille. Les roussettes sont vidées à même le pont. Les filets sont ensuite remontés et rangés avec soin et attention, pour qu’ils soient opérationnels dès le lendemain matin. Le pont est ensuite briqué. Je suis les gestes précis des quatre marins. Chacun sait ce qu’il a à faire, peu de paroles sont échangées.

Mes comparses vivant au plus mal le mal de mer, je vois le regard de Gori s’assombrir au fur et à mesure que leur ventre se déverse par dessus bord…
Le visage de ce marin s’illuminera à nouveau, quand une fois arrivés au port, chacun de nous lui fera part de nos impressions et lui dira qu’il a apprécié cette expérience. La journée se termine en beauté autour d’un délicieux riz cuisiné par Gori avec la pêche du jour, que nous dégustons dans la cale du navire alors que nous avons déjà accosté.

Malgré des hauts le cœur comme je n’en ai jamais eus, je suis ravie. J’ai conscience d’avoir vécu une expérience unique, rarement accessible. A ma connaissance, il est peu commun de pouvoir accompagner des pêcheurs sur une « vraie » journée de travail.
L’idée de me glisser dans la peau d’une personne aux antipodes de ma vie est pour moi fascinante. La grandeur de cœur de Gori, José, Bruno et Francesquet, alliée aux caprices de la mer et à la promiscuité du bateau m’ont permis de vivre une telle expérience extraordinaire par ce jeudi d’octobre majorquin…

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Ce voyage s’inscrit dans le projet EURORURAL Tourism, financé par la Commission Européenne, il a été organisé par l’Association Mès Cultura – www.mescultura.com
Plus d’infos sur pescaturismomallorca.com.

(article initialement publié en décembre 2016)

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4 comments on “Une journée sur un (vrai) bateau de pêche majorquin…

  1. Ah, je compatis, j’ai vécu le mal de mer sur un magnifique voilier, et c’était terrible… alors dans ces conditions! On savoure d’autant plus la levée des filets!!!

  2. génial ! Quelle chance et quel courage, bravo ! c’est mon rêve absolu ! il est en effet très difficile de monter sur le bateau d’un pêcheur (un an à habiter dans le port de paimpol dans un bateau juste à côté d’eux, pas possible de monter à bord sans avoir de carte de presse…). Pour le mal de mer : 1. manger des bananes (elles ont le même gout quand on les ingère que quand on les « restitue » 🙂 et la règle des 5 F : ne pas avoir Faim, ne pas avoir Froid, ne pas avoir la Frousse, ne pas avoir fait la Fiesta, ne pas Fumer. Si le mal vous attrape, prendre la barre (fixer l’horizon pour tenir le cap régule l’oreille interne déstabilisée par le roulis du bateau et la concentration que cela requiert détourne l’attention du mal). Jamais se retenir d’aller aux toilettes, foncer dès que l’envie se fait sentir. Rester à l’extérieur, à l’intérieur c’est pire. et si on reste à l’intérieur, s’allonger par terre, au plus près du centre de gravité du bateau (on ressent moins le roulis) Bon réflexe d’avoir regardé par la fenêtre, justement en fixant l’horizon ! Hâte de lire d’autres histoires de mer 😉

    1. Hé hé hé, merci beaucoup pour ces lignes. Les bananes et les 5F, pour sûr, ça servira aux apprentis marins qui passeront par ici, et je m’en rappellerai personnellement !
      Et ouin c’était vraiment une belle expérience !
      Tu pourras toujours tester l’expérience à Majorque si jamais tu ne peux pas en France: ils développent l’activité avec des touristes « tout public »…

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