Portrait de Chine (5): Wang Qing
Juil 29, 2010 La Chine au quotidien 11

Cette semaine, nous rencontrons Wang Qing, « mon » Ayi… Pour les étrangers vivant en Chine, une Ayi est la personne qui fait le ménage chez eux et/ou garde les enfants, à la base ce terme signifie tante en chinois, mais il a bien évolué dans le jargon Laowai. Et mon ami et moi étant bien occupés par nos boulots respectifs, nous avons le luxe d’avoir une femme de ménage quelques heures par semaine.

Pour ce cinquième portrait, c’est la Chine de tout en bas que nous rencontrons. Rencontre, comme vous allez le voir, bouleversante, et qui reflète pourtant la vie de beaucoup, beaucoup de Chinois…

Qui es-tu?

Je m’appelle Wang Qing, j’ai 37 ans. Je suis Shanghaïenne depuis 3 mois (après des années dans une demi-illégalité, elle a obtenu le hukou de Shanghai, ou sorte de passeport interne à la Chine, obligatoire pour changer de lieu de vie). Mon mari est de Shanghai, je suis originaire du Jiangsu.

Pourquoi es-tu venue à Shanghai?

Je suis venue quand j’avais 15 ans. On était 5 enfants chez moi et on avait très peu d’argent. Mes parents étaient paysans. Mon père ne gagnait que 30 rmb par mois (équivalent de 3 euros). J’ai été envoyé à Shanghai avec mon grand frère.

Qu’as-tu fait à ce moment-là?

J’ai été employée par un restaurant pour faire la vaisselle. Je me levais à 2 heures du matin, et me couchais à 23 heures. J’avais un salaire de 80 rmb, c’était beaucoup: le loyer ne faisait que 16 rmb; on louait une grande pièce avec mon frère. Il n’y avait rien à l’intérieur, que 2 matelas sur le sol… Après j’ai travaillé dans un restaurant dans la rue. Je me levais encore à 2 heures du matin…

A 19 ans j’ai rencontré mon mari. Lui il avait 35 ans. Il avait eu une première femme et un enfant, mais comme j’étais très pauvre, je n’avais pas le choix. C’est une tante qui me l’a présenté. Il y avait plusieurs avantages: je pouvais rester à Shanghai, et si j’avais trouvé un mari à la campagne, il aurait été plus pauvre, ç’aurait été encore plus dur, il m’aurait sans doute battue… Mon mari est bien: il ne m’offre pas de fleur ni d’habits, mais il s’occupe de moi, il me sert, m’aide à porter mes sacs. Il est très simple.

A 20 ans j’ai eu ma fille. On ne pouvait pas s’en occuper, alors à 6 mois elle est partie chez ma mère. Là-bas, il fallait moins d’argent pour l’élever. Elle buvait de la soupe de riz, mais pas de lait. Ma mère l’a élevée pendant 3 ans et ma fille est venue à Shanghai quand elle savait marcher. Elle pouvait aller à l’école. A cette époque mon salaire était de 200 rmb.

Comment as-tu changé de travail?

Une voisine m’a demandé de faire des ménages chez elle. Ça a commencé comme cela. Sa fille m’a présenté à une entreprise et j’ai continué là-bas. C’était en 2001. Il y avait aussi beaucoup d’étrangers, et c’est ainsi que j’ai travaillé avec vous les étrangers. Et puis, ça a été des amis d’amis, comme pour toi.

Comment se passent tes journées?

Je me lève encore à 3 heures du matin, je commence par 2 ou 3 heures dans l’entreprise, et puis je vais travailler chez les gens. Je me repose le samedi, et les mardi et mercredi après-midis…

Comment se passe la relation avec ta fille?

Depuis le début, ça a été dur. Je n’ai pas d’autorité sur elle: elle me dit « je ne suis pas ta fille, ce n’est pas toi qui m’a élevé »… Il n’y a pas de solution. Elle n’écoute pas son père non plus. Elle ne vient vers moi que pour de l’argent. Elle me dit que je ne comprends pas sa vie: elle connaît les ordinateurs, et nous non. On a des points de vue différents sur la vie. On est vieux pour elle. Elle est très moderne… (Beaucoup de tristesse dans sa voix). Il n’y a vraiment pas de solution…

Quel serait ton rêve?

C’est très simple: avoir ma propre maison. Pas forcément grande, mais une maison où je puisse me reposer, et que je n’ai pas besoin de payer de loyer. Là on vit à 3 dans 18m2, on paye 1500 rmb…

Je souhaiterais aussi que ma fille ait un enfant pour qu’elle comprenne ses parents. Elle a honte de nous, elle préfèrerait qu’on ait de l’argent…

Que penses-tu de la Chine d’aujourd’hui?

Quelque chose ne va pas. Il y a un problème dans les mentalités, un problème de mœurs… Les jeunes ne veulent pas ressembler à leur famille. Ils ne réfléchissent pas à leur avenir… Les changements sont trop rapides. On n’y comprend plus rien. Ce qui se faisait avant en 10 ans se fait maintenant en 1 an… Je préfèrerais que ça ailler plus lentement, qu’on ait le temps de s’adapter…

Quel message aimerais-tu passer aux lecteurs de ce blog? Aux Français qui ne connaissent pas la Chine?

(Elle réfléchit)... Merci beaucoup. Vous essayez de comprendre la Chine, vous lisez des choses. Je ne suis qu’une parmi tant d’autres. Il y a beaucoup de choses en Chine que je ne comprends pas: je n’ai pas beaucoup eu l’occasion de lire. Merci beaucoup pour notre relation… de toutes les nationalités que je connais (coréen, japonais, italien…) c’est les Français que je préfère. Vous nous respectez, vous ne vous croyez pas au-dessus. Je suis très heureuse avec ma vie aujourd’hui: je vois des maisons différentes, et surtout j’aime mon travail car j’ai des contacts avec des gens différents.

Les précédents portraits de Chine se trouvent ici: Juanjuan, Abby, Catherine & Woody.

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11 comments on “Portrait de Chine (5): Wang Qing

  1. Très intéressant. Ces gens ont souvent plus à raconter que la jeune génération qui ne connait souvent pas la dure vie de leurs parents.
    Au passage, je dois être un des rares étrangers à faire le ménage chez lui. 🙂
    — Woods

  2. J’étais étonnée que personne ne me pose la question avant 😉
    Je la paie 50 rmb (entre 5 & 6€) la session pour mon appart de 80m2, ce qui est à peu près 2 fois ce qu’elle m’avait demandé…

  3. Interessant témoignage.
    Ma Ayi vient plusieurs fois par semaine, et c’est effectivement un plaisir que d’en avoir une. Ca prend un moment pour comprendre comment elle vit, mais ensuite les choses se délient. Au final, elle finit par faire partie integrante de la famille.

  4. Dommage que Shanghai soit aussi pollué, La Chine a atteint son point de bascule en termes de pollutions. Les Chinois vont devoir agir rapidement. sinon les chinois sont vraiment très agréable avec les tourismes.

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