Downtown Eastside, la face cachée de Vancouver
Sep 23, 2014 Canada 18

Les lignes que je vous propose aujourd’hui sont très personnelles… Je les ai écrites à Vancouver, sur plusieurs journées, au fil de mes découvertes de la situation unique du quartier Downtown Eastside. Un très triste sujet, pas toujours raconté par les voyageurs de passage à Vancouver, mais qui m’a tellement marquée que je ne pouvais le passer sous silence ici…

Le premier matin

Je plonge dans Les Disparues de Vancouver que m’a conseillé une amie. Après la lecture de ce livre ma vision sur Vancouver ne sera plus la même. Je le finis dans la journée. Il est question de curieuses disparitions de « Natives », ces femmes amérindiennes. Tout en bas de l’échelle sociale, et prostituées. J’apprends à la fin du livre (fidèle à la réalité) que c’est un sordide serial killer éleveur porcin qui les transformait en viande… et je comprends surtout au fil des pages à quel point les Natives ne sont pas intégrés à la société canadienne…

Sur les murs de Downtown East Side Vancouver

En discutant avec mon hôte d’un soir, Randie, qui me semble avoir l’esprit bien ouvert, je comprends qu’il y a là un malaise. Je l’interroge un peu maladroitement sur ce livre et la question des disparitions des Natives, il me répond sèchement « Tu devras faire des recherches ».

Je n’insiste pas, je sens ici un malaise palpable, alors que tous les autres sujets sont abordés avec entrain et ouverture d’esprit.

Je ferai sans doute un tour autour de Skid Row, dans Downtown East Side, le quartier de la drogue et des prostitués. Après avoir lu ce livre, j’ai envie de comprendre avec mes yeux, mais je pense y aller plus tard, mon regard sur Vancouver sera autrement trop dérangé je crois, déjà qu’il l’est un peu…

Le quatrième jour, la découverte de Downtown Eastside

Je me trouve ce soir entre mer et nature, comme tant de fois à Vancouver, mais cette fois mon cœur est lourd.

Derrière moi, entrepôts, rails, transports de marchandises et leur son de fer. Devant moi, le port industriel et ses immenses grues rouges « avaleuses » de containers.
Au milieu, ce parc Black Crab, découvert dans ce livre qui a changé dans l’œuf ma vision de Vancouver. Je suis donc assise sur le banc dédié aux Disparues de Vancouver.
Peut-être car cela fait déjà quelques jours que j’y pense, peut-être car je suis encore retournée par la « visite » de Downtown East Side, peut-être car leur âme flotte vraiment autour de moi, mais je sens une peine immense en moi, autour de moi.

Je viens de rencontrer une aimable Vancouveroise, Sara, elle m’accompagne à Downtown Eastside. Je comprends que c’est mieux d’être accompagnée au fur et à mesure que je réalise la gravité de la situation. Au moins n’ai-je pas l’impression d’être au zoo. Et quand je repasserai, toute à l’heure, seule, je saurai à quoi m’attendre, je serai autant préparée que l’on peut l’être.

Tant de misère humaine rassemblée sur quelques rues. Quel atroce contraste avec le Vancouver à deux-pas de là. Que les gens ont l’air mal, à tous les sens du terme. Malades, physiquement, squelettiques parfois, ou en fauteuil, ou avec des tâches sur la peau. Alors que les Vancouverois de Western End respirent la bonne santé. Ici beaucoup sont hagards, drogués je suppose. Et sans vie. Les airs sont souvent soit absents, soit abrutis. Certains sont malades mentalement.

Je ne me sens pas agressée pour autant. « Ils se font avant tout mal à eux-mêmes » me dit Sara.

Sara me quitte, j’erre quelques minutes dans le Chinatown à deux pas de là.

Je reviens dans Downtown East Side. Heureusement, mon hôtesse Monica m’a parlé d’un Community Centre accueillant des expositions. Cela me donne un but, une contenance, une raison d’arpenter ce monde qui n’est pas le mien.

Je vois de la misère partout. Des gens abîmés par la vie.

Je pense à Sara, l’autre, celle du livre Les Disparues de Vancouver, à ses consœurs prostituées, vivant ici l’enfer sur terre. Des regards vides. Je retiens avec peine les grimaces de douleur que je sens pointer sur mon visage. Fichue compassion que je ne veux pas leur faire l’affront d’afficher.

A un carrefour, une dame native, il y en a tant ici, doit saisir mon désarroi. Elle me sourit. Je sens une sorte d’hospitalité dans ce sourire éphémère.
Je continue ma route, troublée.

Autre bouée de sauvetage, ce café dont Aline a parlé sur son blog. Je n’y reste que quelques minutes, il ferme. Je dois affronter à nouveau la rue.

Downtown East Side est déjà fini. Me voilà dans les rues de Gastown. Je tombe bientôt en plein quartier huppé, bourgeois, touristique. Nous sommes à trois rues des pires horreurs humaines urbaines qu’il m’a été donné de voir. Le choc est violent.

Je cherche le parc Black Crab où se situe la première scène du livre, un digne hommage à ces « missing ones », ces disparues dont le monde se fiche.

Je pleure à plusieurs reprises en écrivant ces lignes. Ici ma peine s’exprime sans indécence.

Le banc des Disparues de Vancouver

L’espoir

Je pars une nouvelle fois pour Downtown East Side : Aline m’a parlé d’une initiative qui pourrait bien me plaire, le HAVE café.

Je découvre leur site internet avant de partir. La « HAVE culinaire Training Society » est « une école de formation culinaire qui fournit une formation professionnelle dans la restauration et des opportunités de travail pour des Vancouverois confrontés à des « barrières » à l’emploi. Les élèves de HAVE sont des jeunes et des adultes en situation d’incapacités mentales et physiques, de pauvreté, de toxicomanie et sans domicile. »

J’arrive sur place et Amber, la fondatrice me reçoit. HAVE est un acronyme pour Hope, Actions, Value, Ethics. En parlant avec Amber et Glen (le conseiller des étudiants) je comprends ce que signifie ici Espoir. Chacune des personnes qui pousse la porte pour être formée est acceptée. Elle suit huit semaines de formation dans la restauration et trouvera une place. Depuis 2009, 600 étudiants ont ainsi été formés et ont tous trouvé un travail ! Je suis plus que réjouie par ce que j’apprends ici.
Amber modère tout de même ce succès « une fois qu’ils arrivent ici, ils ont fait le plus gros de leur côté ». N’empêche. Je vois ici une vraie solution, même si elle ne résout pas tous les problèmes de Downtown East Side, qui sont d’ordre médicaux (beaucoup des déshérités ont des maladies mentales ou sont gravement malades), psychologiques et politiques. J’apprends par exemple que les logements sociaux ne sont pas obligatoires au niveau national au Canada…

Malgré tout, Amber et Glen restent optimistes. Leur initiative n’est pas isolée dans le quartier. Les choses changent…

Mon point de vue aussi change, en marchant dans les rues de Downtown East Side, mon cœur est moins lourd qu’il y a quelques jours.

Si la question vous intéresse, je vous conseille cet excellent article qui donne (beaucoup) plus de contexte et d’explication à ce douloureux sujet.

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18 comments on “Downtown Eastside, la face cachée de Vancouver

  1. Intensité palpable sur un sujet for intéressant, et j’en voudrais plus… Juste une précision – un Skid Row est la rue principale traversant un quartier très pauvre. Il y a donc des Skid Rows dans les grandes villes, mais c’est un terme générique. En traduction libre « l’allée des dérapés ».

  2. Sujet en effet grave, dont je n’avais pas connaissance. Sujet pénible à ceux qui ont encore un brin d’humain en eux, et qui nous renvoie à nos consciences. Sous ton œil, sous ta plume, nous serons nombreux à nous documenter plus. A l’heure de l’internet, si un nombre conséquent de recherches activent ce sujet, je pense que ça peut le révéler au plus grand nombre, et peut être, peut être…, éveiller des pouvoirs qui pourraient soutenir et enrichir les actions de Amber et Glenn.
    Et donc bien que tu es dû affronter ces visions, que tu te sois infligée d’être embarquée dans un univers dont un livre t’avais déjà dérangée au plus profond de toi, que tu es eu à lutter avec tes émotions pour qu’elles ne transparaissent pas (peut-être que les gens qui t’observaient passer furtivement en leur vie, n’auraient pas pris ceci pour un affront, mais pour un profond respect de la vie, de tes semblables ?) et imaginer des buts pour aller au fond de ta recherche, au risque de te bousculer un peu plus encore dans ta noble sensibilité, je te le dis, tout ceci n’est pas vain, pas inutile. Car tu as au moins ouvert un regard en ce bas monde sur ce drame, le mien. C’est un début.
    Pleure douce Ye Lili, on pourrait croire que ça ne fait pas avancer les choses, que c’est une faiblesse, c’est faux : ça te permet de ne pas accepter l’inacceptable, de savoir où tu mets le curseur de cette échelle, de nous restituer cette silencieuse tragédie, et à tous de nous rassurer sur ce que nous sommes, chacun renvoyé à nos questions par ton sujet. C’est courageux de pleurer, ça ne s’apprend pas, ça ne se contrôle pas, cette capacité montre un peu de notre âme, un peu de nous sans masque.
    C’est un bien grand cadeau que tu nous fais là par ce sujet, une sacrée preuve de confiance.
    Merci.

    1. Avec bien du retard, je reprends le fil des réponses…
      Merci Pyrène33 pour ces beaux mots.
      Ce genre de réponse me donne foi en ce blog et me donne envie de continuer…
      Merci d’avoir pris le temps de m’écrire, sincèrement!

  3. La condition des autochtones (terme employé au Québec) est incroyablement triste à travers tout le pays. C’est le résultat d’une campagne « d’éducation » de ces « sauvages ». C’est réellement tragique. Si tu viens à Montréal, tu verras que 99% des autochtones ont des problèmes d’alcool…. Je comprends ta peine !

    1. Merci pour ton mot Adil.
      C’est incroyable, car avant de m’intéresser au Canada pour y voyager, je n’en avais jamais entendu parler. Ni dans les médias traditionnels, ni ailleurs. A croire qu’il y a un sacré tabou autour de la question… Et je sais qu’en Australie par exemple, c’est pire encore, à ce que m’ont dit plusieurs personnes ayant cotoyé les deux pays.

  4. Bonjour, j’ai été bouleversée à la lecture de votre post. Je rêve de Vancouver et du Canada depuis de longues années. Mais je crains que le jour où je pourrai enfin y aller, je sois totalement déçue par le traitement réservé aux Natives. Il y a bien sûr, comme les rencontres que vous avez faites avec Amber, des personnes qui s’investissent et qui essaient de changer les mentalités mais cela ne doit pas être simple. En tout cas, merci pour ce très beau partage. Bonne continuation à vous.

    1. Bonjour Louise,
      je pense qu’il vaut mieux en être informé avant d’y aller, surtout si le Canada occupe une grande place dans ton imaginaire… Comme je disais à Adil, je n’ai rien lu/vu à ce propos avant de partir, je crois qu’il vaut toujours mieux être conscient de ce type d’injustice, même si évidemment il est dur d’être conscient de tout ce qui se passe sur notre belle terre…

  5. Je me ballade dans le monde via ton blog ce soir et je fais escale à Vancouver, comme il y a quelques années avant mon séjour en Californie. Au cours de cette brève escale je n’ai pas vu ces deux visages de la ville, côté lumière, côté ténèbres. J’ai dévoré l’article recommandé à l’issue de ce billet et je découvre une réalité qui me rappelle celle vécue par les aborigènes de l’autre côté du globe. Merci pour ces quelques lignes personnelles fort émouvantes car remplies d’humanité… See you 😉

    1. Merci pour ton mot Joëlle !
      Ravie que ces lignes et l’article recommandé t’aient plu… Cet aspect de la ville n’est parfois même pas perçu par des personnes vivant sur place, alors le temps d’une escale je comprends que tu aies pu ne pas le voir.
      Je te recommande l’excellent livre « Les Disparues de Vancouver » si tu veux en savoir plus encore…
      Et oui, il y a là un très triste parallèle avec les Aborigènes d’Australie.
      A bientôt !

  6. Bonjour, j’ai rencontré Élise après avoir lu son livre il n’y a pas longtemps. Moi aussi, j’ai été bouleversé par son terrible récit. C’est étrange, mais c’est en cherchant quelques informations sur Vancouver pour écrire un scénario que je suis tombé sur ton blog. Une fois que j’aurais un texte solide, je proposerai à Élise de travailler avec moi. C’est compliqué pour un français de critiquer un autre pays que le sien. Mais ton témoignage admirable me donne encore plus envi de faire ce film. En fin de compte, nous ne sommes que de passage sur cette terre, et il est nécessaire de montrer les saloperies que peuvent faire les hommes vis-à-vis des femmes. Surtout quand il s’agit de montrer qu’un État laisse assassiner ses propres compatriotes, surtout quand celles-ci sont les « natives », c’est à dire les véritables habitantes d’origine de ce pays. Merci pour ton beau texte. Laurent

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